Interview d’Alain Ravayrol

par Expérience Outdoor

Nous avons rencontré Alain Ravayrol, qui nous a parlé de son engagement dans la lutte pour la préservation de l’environnement et de son association, à qui les bénéfices récoltés lors du Festival Expérience Outdoor 2011 vont être reversés.

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Crédit Photo : Stephane Lozachmour

Bonjour Alain Ravayrol, pouvez-vous vous présenter ?

Cela fait 27 ans que je travaille dans des associations de protection de l’environnement, ou plutôt de protection de la faune sauvage terrestre. Issu d’une formation de technicien agricole, je suis aussi ornithologue spécialiste des rapaces. J’ai travaillé jusqu’en 2002 pour l’association G.R.I.V.E, et je suis maintenant salarié de l’association La Salsepareille. Nous travaillons essentiellement sur des programmes nationaux (programme natura 2000 et Plans Nationaux d’Action sur les espèces menacées), je bague les rapaces rupestres en Languedoc Roussillon. Je suis un adepte des grands espaces.

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous parler de votre passion des sports outdoor ?

Je pratique principalement l’escalade, le trek, le parapente (mais je ne pilote pas) et j’ai fais un peu de spéléologie. Les grands espaces, la vie à l’extérieur, de la ballade à l’observation des espèces terrestre, c’est ce qui me plait dans les sports de nature. J’adore le caillou : les montagnes, les falaises, c’est ce qui me plait le plus. Je ne suis pas particulièrement friand des milieux aquatiques ou forestiers.

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous parler de l’environnement dans le quel vous évoluez ?

Je connais bien la quasi-totalité du Languedoc Roussillon, mais les endroits où je préfère pratiquer sont le Larzac, les Ruffe du Lodévois, le Minervois et les Corbières. Je les fréquente autant pour mon plaisir que pour mon travail. J’apprécie également les Hautes Pyrénèes et les cailloux espagnols. J’aime y faire des randonnées.

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur votre association : La Salsepareille ?

Le gros de notre travail porte sur le programme natura 2000 ainsi que sur les Aigles de Bonelli, et les sports de nature. Nous sommes également attentifs aux enjeux d’actions écologiques et de protection de la nature.
Actuellement nous somme 1 salarié à plein temps, et 2 salariés à temps partiel. L’association compte une soixantaine d’adhérents mais nous bénéficions d’une certaine reconnaissance. En effet des personnes sont identifiées dans le département et certains participent aux actions de l’association. Cependant, nous n’avons pas une vie associative très développée.

C’est une petite association de faible ampleur, car cela devient difficile voire impossible d’avoir des associations avec des équipes bénévoles compétentes en raison des limites imposées par les institutions pour leur financement (peu de subventions mais des appels d’offre). Nous ne réalisons pas d’études d’impact si la commande vise à détruire l’espace étudié car nous tenons à notre intégrité.
Notre site internet n’existe plus actuellement car il n’y a pas matière à communiquer d’une façon autonome et nous n’avons pas le temps. Pour ma part, je préfère les contacts directs (à l’ancienne). Ce site nous servait à vendre nos dvd et promouvoir nos films mais nous ne sommes pas très attachés à cet aspect de notre activité, et je préfère les projections publiques. Cependant, notre travail transparait sur d’autres sites et publications.

Alain Ravayrol Quelles actions avez-vous d’ores et déjà mené ?

Nous avons réalisé 3 films : un 1er sur l’Aigle de Bonelli, un 2nd sur le Grand duc et un 3e sur le Faucon crécerellette. Ces documentaires animaliers proposent des prises de vue à partir de nos idées personnelles, mais peuvent être subventionnés dans la finalisation. Le film sur le Faucon crécerellette a été financé dans le cadre du plan national d’action pour cette espèce. Ces films sont un peu trop personnels pour le cinéma ou la télévision, mais ce n’est pas tant ce qui nous intéresse. Je préfère les projections publiques où on peut discuter avec les gens et échanger des idées, ce que je trouve plus intéressant. Il ne faut pas avoir peur d’oser même si cela entraine une diffusion moins importante.

Nous travaillons également sur le programme natura 2000 : un diagnostic et un état des lieux des populations d’oiseaux qui figurent à l’annexe 1, ce qui correspond à une vingtaine d’espèces caractéristiques. Cela comprend la localisation, le recensement et la transformation des données recueillies sur le terrain en statistiques pour des espèces menacées et fragiles, en voie de disparition ou en déclin. Nous réalisons également le baguage de rapaces tels que l’Aigle de Bonelli ou le Vautour percnoptère dont nous n’avons qu’un couple dans l’Hérault et un dans le Gard. Ce petit vautour migrateur a presque disparu de nos régions !

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur l’Aigle de Bonelli ?

L’Aigle de Bonelli a été mon fil conducteur tout au long de ma carrière. Le fait de suivre une espèce dans la durée permet de bien comprendre tous les mécanismes à tous les niveaux. C’est une espèce emblématique, mais aussi révélatrice du fonctionnement et des caractéristiques des grands espaces dans lesquels il vit.
Nous avons 6 couples dans l’Hérault, 13 couples dans les Bouches du Rhône et 4 dans le Gard, plus quelques couples disséminés dans les autres départements du littoral méditerranéen ou en Ardèche, ce qui est vraiment faible ! Si on perd un individu, c’est une catastrophe car la population est très isolée et peu nombreuse.

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Crédit Photo : Regard du Vivant

Nous sommes à la limite nord de l’espèce ce qui fait que la situation en Languedoc est précaire. C’est un espace soumis à de fortes pressions humaines : la population qui augmente, les aménagements, le tourisme, la société urbaine… Et paradoxalement, le recul de l’agriculture a entrainé une augmentation des zones boisées, et donc des espaces défavorables à l’espèce (l’aigle ne pouvant pas chasser en forêt). Les espèces forestières prennent le dessus.
C’est une espèce très présente dans l’esprit des gens, mais à la fois méconnu. Les gens connaissent son nom mais ne le visualisent pas, car il est très furtif dans la chasse et rare, et souvent confondu avec les circaètes car il est vraiment petit. C’est vraiment compliqué de l’apercevoir !

Il existe un programme « rapaces » dans le parc national des écrins qui permet surveillance et comptage des Aigles royaux notamment. Envisagez-vous de mettre en place un tel programme pour l’Aigle de Bonelli dans le parc national de Camargue ?

Je connais Christian Couloumy, le chef de secteur du PN des Ecrins et le responsable de ce programme, seulement de nom. Mais le président de l’association le connait et échange avec lui. Cependant on ne peut pas dire que ce soit le même programme que nous appliquons ici ! L’Aigle royal, qui compte plus d’individus dans nos régions que l’Aigle de Bonelli, n’est pas une espèce menacée, et nous n’avons donc pas les mêmes enjeux.

On compte seulement 30 couples d’Aigles en Bonelli en France, ce qui est nettement inférieur à la population d’Aigles royaux. L’Aigle de Bonelli a une démographie plus fragile, et les espaces où il vit sont soumis à de fortes pressions. Depuis les années 80, on a un réseau qui fonctionne en Languedoc Roussillon, qui nous permet de baguer tous les aiglons. Cela demande des talents de grimpeur, mais aussi pour la manipulation !

Nous sommes en pleine période de baguage car les aiglons sont nés il y a 40 jours. Ce programme nécessite donc que des bénévoles suivent les sites pour connaitre la date de naissance des aiglons, car il faut les baguer lorsqu’ils sont assez âgés pour être indépendants de leurs parents, et assez jeunes pour qu’il ne tente pas de s’envoler dans le vide avant l’heure. Ce baguage permet de les suivre, et ainsi de mieux connaitre la démographie de l’espèce, ses processus de survie, sa mortalité, sa dispersion, bref, le fonctionnement de la population.
C’est une espèce particulièrement menacée du fait qu’elle est marginale (vivant sur le littoral méditerranéen, à la marge du principal noyau de population qui est en Espagne).
85 % des jeunes ne parviennent pas à l’âge adulte et n’atteignent donc pas 3 ans.

Alain Ravayrol quels sont vos autres projets ?

Pour le moment nous avons un peu le nez dans le guidon, entre les baguages et le programme natura 2000. Nous allons continuer sur la même lancée, sans faire de concessions. C’est la grosse difficulté car ne pas faire de concessions peut vouloir dire ne plus exister de nos jours. L’enjeu est donc de résister et de ne pas franchir certaines limites. Il faut que les associations changent les règles du jeu du modèle dans lequel nous nous trouvons.

Ca dépasse la protection des espèces. Prends la biodiversité, sur les affiches, ce n’est que du blabla, mais c’est aussi une réalité ! Un environnement trop abimé pèse sur les intérêts de la majorité et il faut donc voir entre l’artifice et le vrai. Je reste persuadé que l’homme peut faire attention à ne pas détruire l’espace où il vit. On a donc une contradiction entre vision à long terme (environnement) et vision à court terme (modèle de développement destructeur d’espaces).

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous parler du lien entre votre association et le festival Expérience Outdoor ?

La même question se pose pour les professionnels des sports comme pour les professionnels de la nature : a quel moment je réfléchis à mon impact sur l’espace naturel ? C’est pourquoi je vais réfléchir sur les questions qui doivent être posées avant l’équipement d’un site vierge.

Alain Ravayrol Pouvez vous nous en dire un peu plus sur la charte que vous allez rédiger ?

Il va en fait s’agir d’une réflexion sur l’aménagement des espaces naturels au préalable, mais pas sur la gestion des déchets ou autres. Je suis peu intéressé et incapable de rédiger un cahier de recommandation car ce n’est pas mon domaine de compétences. Je m’attache plus à l’appropriation des espaces naturels et au rôle de la FFME dans l’aménagement. J’en ai déjà discuté avec Petzl et leur fondation a d’ailleurs déjà donné de l’argent pour notre programme sur les aigles. Je me pose plus la question de « comment se retenir d’utiliser le matériel dans les aménagements à demeure ? » car il y a la sécurité à prendre en compte en plus du fait de laisser le moins de traces possibles après l’utilisation.

Alain Ravayrol Pouvez-vous nous dire comment vous pensez utiliser l’argent provenant d’Expérience Outdoor ?

Nous avons une mission sociale et relationnelle avec les sports de nature. Les fonds d’Expérience Outdoor vont nous permettre d’assurer un rôle de médiateur entre les enjeux naturels et le droit d’aller dans la nature. C’est criant en méditerranée car les espaces naturels sont plus accessibles au public que dans les massifs montagneux. En effet, il y a plus d’exigences et des limites physiques sont créées en montagne (tout le monde n’a pas la capacité d’y accéder).
Si on aménage tous les espaces en Méditerranée, cela ne fonctionnera pas. Il faut garder de la place pour les espèces naturelles comme l’aigle.

Comment cela peut fonctionner ? C’est une double bataille !

  • Les professionnels des sports de nature qui, en plus de la passion, aimeraient grimper partout, et en même temps en vivre. Ils créent donc des lieux aménagés et sont à l’origine de l’artificialisation des sites. La tendance du moment est « je DOIS avoir mon outil de travail, et il y a une grosse concurrence » ; La question qui se pose alors est : tout site doit-il être aménagé ?
  • La part des naturalistes qui voudraient que tous les sites soient vierges de la pression humaine.

Personnellement je me situe entre les 2.

Nous avons un état d’esprit différent des grosses associations. Nous sommes tous usagers de la nature et non pas seulement des observateurs. C’est très bien que les gens aient envie d’être dehors, mais il faut le faire en respectant l’environnement. Les 2 sont possibles, le tout est de savoir comment on le fait.

Il faut donc en discuter avant pour mettre fin au mythe de l’écolo qui interdit tout. Il s’agit de changer la vision des gens, mais aussi celle des écolos eux-mêmes !

Mon atout est d’avoir un double regard : mon coté ornithologue observe et connait les aigles, et je sais quoi dire aux grimpeurs ; mon coté grimpeur me permet de connaitre la sociologie et les pensées des grimpeurs. Cela me permet de faire une meilleure part des choses et de voir les 2 cotés. Je suis vraiment mieux placé pour en parler.

Il y a du stupide des deux cotés et je ne suis pas braqué contre telle ou telle pratique, il faut avoir un rapport à la nature partagé.
Il faut amener les gens à avoir une double vision complexe. La plupart des grimpeurs n’ont pas la capacité à mesurer leur impact. L’intérêt est donc l’échange : j’aime être présent, être l’interlocuteur pour répondre aux situations, sans émettre de jugement. Il faut aussi que le grimpeur accepte sa part d’autonomie. En effet, trop souvent, les gens attendent une réponse de notre part pour se reposer dessus. Sauf exceptions, j’évite d’émettre un jugement.

Un équipeur m’a déjà demandé mon avis pour équiper une falaise vierge, mais lorsque je suis arrivé elle était déjà partiellement aménagée ! à quoi cela sert-il ?

Il faut bousculer la mentalité du milieu, qui est très dur, et où les aménageurs sont constamment en concurrence sur la communication, le prestige … Ils ont un état d’esprit de pionniers. Il y a beaucoup d’hypocrisie : la charte des équipeurs (recommandant de préserver les espaces) est en contradiction avec la formation des équipeurs (qui conseille d’équiper avant de demander à quiconque pour éviter le risque de ne pas le pouvoir), et le choix est vite fait ! Il y a aussi une contradiction entre la liberté de circuler et les limites de la propriété privée.

Dans la nature, j’ai le droit d’aller partout, mais je fais attention à connaitre les autres usages et l’espace lui-même. Il faut avoir conscience des ressources et des besoins des autres, c’est-à-dire des gens comme des animaux ! Il y a ce que tu prends, et ce que tu laisses derrière toi !

Je suis un naturaliste grimpeur compréhensif, et je n’aime pas être payé pour donner mon point de vue sur ces aménagements.

Contacter l’association Salsepareille: [email protected]

Interview de Alain Ravayrol par Laurence Durand

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