« On ne voyage pas pour guérir de soi, mais pour s’aguerrir, se fortifier, se sentir et se savoir plus finement. A l’étranger, jamais on est un étranger pour soi, mais toujours le plus intime, le plus pressant, le plus accolé à son ombre. Face à soi, plus que jamais contraint à se regarder, sinon à se voir, on plonge plus profondément vers son centre de gravité tant l’autre nous manque pour nous distraire de notre présence forcée. La destination d’un voyage ne cesse de coïncider avec le noyau infracassable de l’être et de l’identité. Derrière l’arsenal toponymique des cartes géographiques se cachent d’incroyables variations sur le thème de la subjectivité.
Hors de son domicile, dans l’exercice périlleux du nomadisme, le premier voyageur rencontré, c’est soi. »
Michel Onfray, Théorie du voyage Poétique de la géographie
Définition du Voyage
De mes voyages et lectures diverses, je relève ces quelques bouts répétitifs de discours… à propos du voyage…
Partir au bout du monde – Changer de rythme – Prendre le temps – Voyager pour apprendre sur soi et sur l’autre – Se sentir libre – Explorer des territoires inconnus – Prendre du recul – Se décaler – Voyager pour guérir – Relativiser – Sortir de son quotidien – Prendre les voiles – Se mettre au repos – Rentrer différent.e ? – Voyage Thérapie ?
Que sous-entendent toutes ces expressions ? Si ce n’est que dans ces déplacements organisés, dans ces expériences à vivre, il semble y avoir une traversée et la recherche d’un changement d’état intérieur comme si le voyage avait pour vocation d’être une initiation comportant un avant et un après… et pouvait participer au mieux-être du voyageur, voire à son plus être, ou pouvait tenir lieu de thérapie.
Quête de l’âme, quête des profondeurs, quête de sens ?
Si je devais définir la psychothérapie, je dirais avant toute chose qu’elle prend soin de l’être, qu’elle accompagne l’aventure intérieure. Et qui dit aventure, dit voyage, dit déplacement intérieur. Je distingue deux types de psychothérapie qui ne sont d’ailleurs pas exclusive l’une de l’autre.
La psychothérapie peut être de type maïeutique. Les mots que l’on y associe seraient ceux-ci : grotte, creusement, accouchement de soi, intériorité, transition, individualité, implication personnelle, histoire et projet de vie, problèmes à gérer et à résoudre.
La psychothérapie de type initiatique, elle, est confrontation à l’ailleurs par nostalgie de l’âme ou curiosité, déplacement, frottement au tout autre, coexistence des contraires, des différences, universalité, participation à des connaissances autres, sacrées, spirituelles, culturelles, épreuves à traverser pour se faire de se défaire.
Le voyage comme déplacement et Thérapie
Chacune est un voyage thérapie à sa façon. Les chemins en sont différents. Dans la thérapie, il y a souvent à la clé la quête d’une résolution d’un problème et il peut sembler évident que tous les problèmes peuvent se résoudre par la géographie, à savoir en se déplaçant.
Outre les mythes et la mythothérapie, une de mes pratiques privilégiées tant dans le huis clos du cabinet de psychothérapie que dans les groupes -qui prennent souvent la figure d’une invitation au « voyage »- sera la danse. Danser revient à se déplacer, bouger, mouvoir, se mouvoir, s’émouvoir. De toutes les manières, l’en-jeu sera toujours d’aller d’un point A à un point B. Et la danse par essence emmène d’un point A à un point B.
Souvent, elle ouvre l’espace, allège le poids, soulage… Une promenade en forêt également. Une dépression pourra aussi voir une résolution en voyageant, en faisant le tour du monde – si l’énergie est présente bien sûr. Quoi qu’il en soit, il s’agira de ne pas rester au point où l’on vit le stress, le problème, mais de prendre du recul pour retrouver une quiétude, car souvent l’objectif –plus ou moins défini- est de se transformer, changer la forme et le fond, devenir autre.
Le voyage dans l’Odyssée
Pour définir le voyage thérapie, je m’en référerai à l’Odyssée, épopée de l’absence, de la perte et du retour sans cesse ajourné, a pour héros, Ulysse. Ulysse, de tous les personnages de nos mythologies, symbolise l’homo viator, l’homme qui se réalise par le voyage. Son voyage, jalonné d’épreuves, de combats, d’errances, est le chant de l’être humain en construction, fidèle à lui-même et à ses origines. Ici, le déplacement se jouera dans un ailleurs et dans cet ailleurs, un processus de transformation va se dérouler, car Ulysse va rentrer autre (Cf Maeva Paul).
Cet homo viator est comme mû par un secret mouvement qui l’amène à sortir de lui-même en se confrontant à de l’Etranger en miroir. Dans les aventures d’Ulysse, il s’agit moins de collectionner les anecdotes et les aventures que de s’éprouver étranger et donc, de se connaître par le biais de l’autre. Le voyage prend ainsi le visage de l’aventure, de la découverte de soi et de l’autre, au gré des expériences.
Rappelons que le mot expérience, vient du latin experire qui veut dire traverser le danger. Voyager ne consiste pas en un simple tour de piste. Préparations, frottements et mises à l’épreuve par la séparation, la rencontre avec le tout autre que l’on cherche à inclure, assimiler, relier à soi-même demande une remise en cause, une flexibilité, une ouverture qui engage le voyageur.
Il y a ici rupture avec le familier, le connu, un éloignement. Et bien sûr un retour.
Voyage Thérapie ?
Le destin du voyage, de nos voyages, de tous nos voyages, comme celui d’Ulysse ? Rentrer. Car le voyage, c’est partir et rentrer bien souvent. Mais rentrer où ?
Le voyage thérapie est aussi initiatique parce que ce qui se passe dehors résonne dedans, au lieu du mystère -« mukos », à l’intérieur. Revenir à Ithaque, comme Ulysse, c’est se rencontrer dedans au détour du voyage. C’est rentrer chez Soi par l’entremise du voyage.
Le voyage est alors interstice, espace intermédiaire, liminaire, un entre-deux avec l’enjeu d’un retour, la réintégration dans le quotidien sur un plan très pragmatique et le retour à soi sur un plan plus subtil. Car le voyage –même nomade ou peu organisé- autant dans les préparatifs, que dans le vécu ou le retour- est rituel. Comme dans les rites de passage, il comporte 3 phases : quitter, faire l’expérience, rentrer autre…
De quoi est fait cet entre-deux ?
Voyage Rituel
L’ethnologue Arnold Van Gennep (Les rites de passage, 1909, 1981) nous a expliqué la notion de rite et de rituel, ces espaces liminaires ou liminaux, de transition au cours desquels des changements d’état ont lieu et qui comportent trois phases.
- une phase dite préliminaire ou de séparation lors de laquelle l’individu se détache du groupe auquel il appartient, de sa position sociale, sociétale, de son état culturel : le moment des préparatifs…
- une phase dite liminaire ou marginale/en marge lors de laquelle l’individu va traverser un domaine qui lui est totalement étranger : le départ et le voyage…
- une phase de réintégration ou réagrégation lors de laquelle l’individu retrouve une condition stable, lui conférant un nouvel état, un nouveau statut dans le cas des rites de passage dans les sociétés primordiales : le retour de voyage.
Le voyage comme espace transitionnel
Les rituels sont des rites qui accompagnent des changements de lieu, d’état, de position sociale ou d’âge. Ici, rien ne sera jamais plus comme avant. Le voyageur est une personne liminaire, en transit d’abord, puis en transition. Le voyage pourrait ainsi être assimilé à un espace transitionnel, un voyage-rituel qui assure le changement d’état (intérieur et extérieur) et affirme la continuité tout en marquant la transition : autre lieu, autre état, autres coutumes, autre langue, autre culture, si la personne en transit veut bien se laisser imprégner de ce bain de nouveautés.
Dans cet entre-deux du voyage-rituel, il y a aussi figuration de l’absence. Est-ce que je me retire parce que je voyage ? Est-ce que le voyage permet de s’absenter, de s’oublier un peu pour découvrir autre chose de soi, de l’autre, des paysages, des coutumes, des langues… radicalement autres. Ou bien ne vais-je en voyage qu’habiter de moi-même ? Quel est ce sentiment d’être étranger à soi-même avant même d’entreprendre le voyage par lequel on s’expose aux réalités étrangères ? Car dans l’entre-deux », un pays, une terre et des gens m’accueillent. Comment j’habite l’écart, l’entre ?
Ce rappel à l’inconnu de soi ou l’étranger en soi figure l’éloignement du connu mais est aussi avant tout un superbe point d’articulation entre le corps et l’être, le sacré et le profane, le visible et l’invisible.
A la croisée des chemins, le déplacement géographique horizontal ouvre aussi les portes vers le changement d’état, une verticalité de l’être, un nouvel « assemblage » intérieur, une nouvelle composition de soi très souvent jubilatoire…
« Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage… » (J. Du Bellay)
et en « …est revenu plein d’espace et de temps ». (Ossip Mandelstam)
Bibliographie sur le voyage et le rituel
Onfray, Michel, Théorie du voyage, Poétique de la géographie, 2007.
Paul, Maeva, L’Accompagnement Professionnel, Une posture spécifique, 2004.
Turner, Victor, Le phénomène Rituel, 1964.
Van Gennep, Arnold, Les rites de passage, 1909, 1981.
Auteur de l’article Voyage thérapie ou initiation :
Corinne Tranchida, après des études doctorales en linguistique, historiographie et gender studies (Université de Lille III, Université de Strasbourg, Seattle University) et anthropologie des dynamiques sociales et culturelles (Université Paul Valéry, Montpellier), est devenu Psychothérapeute, art-thérapeute analyste, et superviseur-e. Depuis 2013 elle propose la formation SATIS alliant la somatothérapie et l’art-thérapie avec La danse-thérapie comme vecteur fondamentale.