Julien Defois vous présente son récit de la traversée des Alpes à pieds en suivant la Via Alpina des Dolomites à la Suisse, en passant par l’Autriche et le Liechtenstein.
Expérience qui fait suite de sa première partie de la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites :
Informations pour préparer sa Via Alpina des Dolomites à la Suisse
Date : du 25 juillet au 10 août 2020
Lieu : Italie, Dolomites et massif du Texel. Tyrol autrichien : massif de l’ötzal, Alpes de Lechtal.
Comment s’y rendre :
De Toulouse, il est possible de se rendre en train à Venise, avec un nombre conséquent de changements et une nuit quelque part sur le chemin:il faut compter 2 jours de voyage. J’ai utilisé le site des chemins de fer italiens en version française pour réserver des billets. J’ai payé environ 100€ mon trajet.
Vous pouvez également prendre l’avion, avec des prix très variables, de 40 à 150€ ou plus.
De Venise, il faut ensuite prendre un bus. Plusieurs compagnies proposent des trajets à des prix similaires. J’ai utilisé avec satisfaction Cortina Express et ATVO. Les bus s’arrêtent à la gare ferroviaire et à l’aéroport. Il faut compter 15 à 20€ le trajet.
J’ai arrêté (arbitrairement) ce récit à Sargans en Suisse, qui est un bon point d’arrivée ou de départ pour ceux qui ne peuvent pas faire l’intégralité du chemin. Il vous est possible d’arrêter à Vaduz ou Feldkirch également. Un bus relie Sargans, Vaduz et Feldkirch, un train aussi. Pour rentrer de Feldkirch, je recommande le train. Cette ville se situe sur un nœud ferroviaire et il est facile d’aller et venir dans plusieurs pays d’Europe (Suisse, Italie, Allemagne). Le site Train Lines vous donnera les meilleurs options pour rentrer chez vous .
Participant à la traversée des Alpes sur la Via Alpina:
Julien 41 ans. J’habite pas loin de Toulouse. Je connais bien les Pyrénées alors quand je veux j’aime aller visiter les montagnes du monde à pieds ou à skis. J’ai un gros coup de cœur pour la rando longue distance.
Où dormir sur la Via Alpina des Dolomites à la Suisse :
Camping sauvage
Sous les étoiles ou dans votre tente ! Cela donne le maximum de liberté. Il faut cependant être vigilant car le camping sauvage n’est pas autorisé sur la majeure partie du chemin. En Italie, la souplesse est de mise, mais en Autriche si on se fait prendre une amende est très probable. Il faut donc rester discret et à l’écart des villages. C’est la section où j’ai le plus dormi à l’intérieur afin d’éviter les problèmes (et le mauvais temps).
Le tracé de la Via Alpina permet à tous ceux qui ne veulent pas porter le couchage et la nourriture de faire étape chaque jour dans des gîtes, des hôtels ou des refuges. Il y en a pour tous les goûts !
Hébergements
En dehors du camping sauvage, j’ai dormi dans les lieux suivants :
Refuges
Braunschweiger Hütte : un gros refuge du club alpin allemand situé sur l’E5 et la Via Alpina (B34), dans la station de ski de Gletscher. Belle vue sur les glaciers de l’ötzal et bonne nourriture.
Galflun Alm : petit refuge privé au dessus de Wenns (étape B36). Après discussion avec d’autres randonneurs, je pense qu’il faut privilégier Larcher Alm, situé 30 minutes avant Galflun pour la qualité de l’accueil et de la nourriture. Galflun est très bien pour la vue par contre.
Ansbacher Hütte : le pire refuge de toute ma Via Alpina en ce qui concerne l’accueil. Gardien désagréable, quelques incidents car surveillance de nos moindres faits et gestes, accusations fallacieuses. Il est situé sur la voie de l’aigle (variante de la Via Alpina).
Auberges et établissements en vallée
Youth Hostel Merano : à Merano, étape B28, chambre individuelle à moins de 30€, bon petit déjeuner inclus. Le même groupe gère une auberge de jeunesse à Bolzano.
Gasthaus Obervent : 29€ la nuit avec le petit déjeuner. Simple et aussi l’option la moins chère à Vent, étape B32.
Camping municipal de Feldkirch : situé à l’écart de la ville sur l’étape R55, il fonctionne conjointement avec la très grande piscine municipale. Les clients du camping y ont donc accès gratuitement. Un bus dessert le camping depuis le centre ville. Accueil vraiment très sympathique et personnel très serviable. Un peu bruyant par contre, car il est très fréquenté.
Auberge de jeunesse de Feldkirch : un très bel endroit situé dans un monument historique datant du moyen âge. Les responsables sont d’une gentillesse absolue et c’est un des endroits où je me suis senti le mieux. Quoi de mieux pour une journée de repos ! Le site internet ne fonctionne pas toujours bien et indique que l’auberge est pleine alors que ce n’est pas le cas, ne pas hésiter à appeler ou à envoyer un mail.
Où manger et se ravitailler
Chaque village compte une épicerie et parfois une boulangerie. Voici les endroits où j’ai pu me ravitailler :
La villa Stern : boulangerie plus supermarchés
Merano et Bolzano : tous commerces
Jenesien : petite épicerie
Certosa/Karthaus : petite épicerie
Unser Frau/Madonna : petite épicerie
Vent : épicerie située dans le sport 2000
Wenns : tous commerces
Zams : tous commerces
Feldkirch : tous commerces
Les refuges qui jalonnent le chemin sont autant de possibilités de manger ou de s’offrir une boisson rafraîchissante. Je recommande vivement le refuge Hochgang Haus pour la qualité de l’accueil et de la nourriture (étape B28). On peut poser la tente aux abords du refuge.
Offices du tourisme :
Cortina d’Ampezzo
Bolzano
Merano
Vent
Lech
Vorarlberg
Feldkirch
Caractéristiques de la Via Alpina des Dolomites à la Suisse
La Via Alpina
La Via Alpina est un réseau de sentiers qui connectent les Alpes. Le principal itinéraire, le rouge, part de Trieste et traverse tous les pays de l’arc alpin jusqu’à Monaco en 161 étapes. D’autres itinéraires proposent des alternatives mais sont d’une manière ou d’une autre connectées à la Via Alpina rouge :
-l’itinéraire jaune, que j’ai suivi, part de Trieste et traverse les Alpes italiennes en direction des Dolomites où il s’attarde assez longuement. Il monte ensuite vers le nord à travers l’Autriche pour rejoindre le tracé rouge en Allemagne, sur 40 étapes.
-l’itinéraire violet se sépare de la Via Alpina rouge au nord du Triglav. Il fait un grand crochet dans les montagnes autrichiennes et passe aussi par l’Allemagne (66 étapes).
-l’itinéraire bleu quitte le tracé rouge au sud de l’Oberland suisse et passe l’essentiel de son temps en Italie. Il revient en France à Larche, suit le GR 5 avant de rejoindre le tracé rouge à Sospel (61 étapes).
-l’itinéraire vert traverse la Suisse d’est en ouest. C’est un chemin très connu en pays helvétique et aussi fréquenté (14 étapes).
Ce récit couvre des portions des Vias Alpinas jaune et rouges.
Le terrain parcouru
Les Dolomites appartiennent aux montagnes les plus fameuses du monde, et à juste titre!Vous y croiserez beaucoup de monde. Il y a également de nombreuses stations de ski et encore plus de refuges dans ce massif : ce n’est donc pas l’endroit le plus sauvage de la planète. Par contre vous en prendrez plein les yeux !
Au nord de Bolzano, le terrain devient plus granitique et la géologie change. C’est là que se trouve le point le plus haut des Vias Alpinas, le col Similaun, à 3001m. Cette partie du chemin, jusqu’à Oberstdorff est située sur l’itinéraire européen de grande randonnée E5 qui draine des hordes de randonneurs allemands.
Les Alpes de Lechtal sont fréquentées, mais dans une moindre mesure que les deux massifs précédents. Elles sont jalonnées de nombreux refuges.
Autres expériences sur la Via Alpina
Quoi d’autres dans les environs
Dans les Dolomites, vous pourrez parcourir les nombreuses Alta Vias, les plus célèbres étant l’alta via 1 et l’alta via 2. Ce sont des randonnées nécessitant une certaine aisance en raison de la présence de parties câblées et d’échelles.
Vers Merano, vous pouvez également parcourir le Meraner Höhenweg, une boucle de 6 jours dans le massif du Texel.
Enfin, en Autriche, je recommande vivement la voie de l’aigle, une traversée de plusieurs semaines dans un décor somptueux, avec des refuges tout le long du chemin.
Bibliographie de la traversée des Alpes sur la Via Alpina
Un livre raconte la traversée de la Via Alpina : Via Alpina, 2500 km d’une mer à l’autre, de Vincent Tornay, édition Rossolis
Liens internet
Je recommande vivement le site officiel de la Via Alpina, très bien fait et plein d’informations pratiques pour préparer son itinéraire.
Je me suis aussi aidé du blog de ce randonneur qui a suivi à peu près le même itinéraire que moi, en sens inverse.
J’ai beaucoup aimé le film de Matthieu Chambaud qui raconte sa Via Alpina et les rencontres qu’il a faites sur le chemin : Via Alpina, l’envers du Chemin.
Tous ces sites m’ont permis de rêver mon chemin !
La Via Alpina des Dolomites à la Suisse
Suite de la partie 1 : j’ai décidé de rentrer à Toulouse, interrompant ma traversée.
Un choix déroutant
La chaleur est étouffante. Le vent de sud souffle. La terre et les herbes sont desséchées. Je ne ressens qu’hostilité ici. Je n’ai rien à y faire. Pourtant je suis chez moi. La claque est magistrale. J’ai voulu rentrer et à peine arrivé je suis pressé de partir. Toulouse l’été n’est pas vivable. Mais il me fallait ça pour faire un choix total, celui de m’en tenir au chemin que j’avais choisi initialement. La météo italienne s’avérait meilleure dans les faits que dans les prévisions. La vie aime bien les clins d’oeil moqueurs parfois.
Mais il me fallait en passer par là afin de me confronter une fois pour toute à mes hésitations. Je repartirai le lendemain et je laisserai la météo être ce qu’elle voulait. Je ne peux pas tout maîtriser, mais seulement faire mes choix pour moi, aligné autant que possible avec mes besoins et mes aspirations.
Rattraper le temps perdu sur une alternative à la via alpina
De retour à Cortina, je reprends le chemin où je l’ai laissé. Avide de rattrapé le temps perdu, inquiet d’en avoir peut être trop perdu. Alors je fonce sur les sentiers. La fatigue est revenue: j’ai passé les derniers jours en voyage, sans repos, et la fournaise toulousaine excluait toute possibilité de récupération. Mon empressement n’est pas du goût de la vie, qui va me transmettre quelques messages à ce sujet.
Je ne suis plus la Via Alpina pour quelques jours. J’ai créé ma route pour passer par les plus beaux coins et j’en suis ravi. Je n’ai aucun repère de distance ou de dénivelé, juste le « bisto de nas », comme on dit en occitan, pour estimer mes journées sur des cartes approximatives. Le pifomètre n’est pas une bonne unité de mesure: on ne sait jamais vraiment combien de kilomètres, de dénivelé et d’heures de marche nous attendent.
Béni des cieux
J’atteins mon premier bivouac dans la réserve de Fanes à 20h passées. Je n’ai pas vraiment eu le temps de savourer, sous la contrainte de mes objectifs. Je me cache, il est interdit de poser sa tente dans ces réserves qui jalonnent la partie occidentale des Dolomites.
Une nouvelle journée, la plus tranquille de ma traversée du massif, m’attend. Le luxe m’est offert de narguer la grêle et l’orage abrité par le refuge de Puez, lançant avec un petit sourire intérieur: « Encore raté! Une prochaine fois, peut être! » Les tentatives de la pluie pour m’arroser sont restées vaines jusqu’ici. La nature n’est pas rancunière: je bivouaque près d’un lac où elle me fait cadeau d’un des plus beaux couchers de soleil de ma traversée.
Un randonneur trop gourmand
Le troisième jour s’annonce des plus consistants. Je dois visiter 3 massifs: Sella, Sassolungo et Catinaccio. Le temps est beau, l’environnement majestueux, l’itinéraire ludique, varié et aussi fréquenté. Les châteaux de calcaire ne sont pas imprenables: là où les murs sont trop verticaux, les hommes ont posé des échelles, taillé des marches, installé des câbles. La nature n’a pas pu résister à ces envahisseurs dont je fais partie. Ces petites sections sont une des joies des Dolomites, mais elles prennent du temps.
Devant la longueur de l’étape, je renonce à visiter Sassolungo car, pour bien faire dans l’empressement, je me suis rajouté une contrainte: être à 18h30 au refuge d’Antemoia où j’ai réservé un repas. Malgré cela, je vais encore être juste.
Alors je demande encore à mon corps de faire des efforts. Il râle un peu. Bercé par les merveilles qui m’entourent, j’oublie parfois cette heure qui passe, l’insistance du mental à tenir ses objectifs. Les poumons en ébullition, le T shirt en liquéfaction, les jambes en démolition, j’arrive finalement au refuge. Je n’arrive pas à vivre mes journées en maître du temps. Je le subis, parce que je subis la tyrannie des contraintes que je choisis.
Ciao les Dolomites
Je vais dire Adieu aux Dolomites. Il ne me reste qu’un jour dans le massif. Il va me gâter. Le Catinaccio est un des clous du spectacle, feu d’artifice de verticalité radieuse. Surplombé de toutes parts, étreint par des parois qu’on croirait très proches si tout n’était pas immense, je me sens invité au coeur de la montagne, introduit dans l’intime de la nature. Recueillement. Gratitude pour ce moment et cette beauté simple.
Accepter, se laisser aller
Du refuge Bolzano, je dois descendre à Tires pour prendre un bus. Je ne sais pas combien de temps il va me falloir pour y arriver mais mon intuition me dit que je vais arriver juste au moment où un bus partira. J’ai juste: je finis la descente en courant, dans une chaleur étouffante, pour attraper mon retour vers Bolzano. Dégoulinant et haletant, je monte dans le bus, plus vraiment présent à ce que je fais. Courir après un bus, après le temps, après mes objectifs ne me convient pas.
En mon for intérieur, la colère gronde contre moi pour m’être infligé cette pression pendant ces derniers jours. Je n’ai pas l’esprit libre, mon âme ne peut se nourrir correctement si je me conditionne avec des objectifs. Je prends une décision libératrice: lâcher prise. Peu importe ce qui adviendra, je vais me laisser porter, accepter ce que la vie, la montagne, et moi même aussi m’apportent chaque jour. Je vais éviter autant que possible de m’imposer des contraintes. Il y en a bien assez comme ça sans que j’ai besoin d’intervenir. Il n’y pas de joie s’il n’y a pas de vie dans l’instant présent et ces derniers jours me l’ont bien montré.
Orages et canicule
Ce soir l’orage sera assez violent et soudain. Une fois de plus, je le contemple à l’abri, dans un jardin public, bien installé sous un auvent. Délivré de la peur et de l’inconfort, je contemple la nature balayer la chaleur, humecter la terre, rééquilibrer les excès de l’été. L’orage c’est un peu le ciel qui prend soin de la terre, il la lave, la tempère, l’apaise.
S’ouvre maintenant une parenthèse granitique. L’enchantement qui s’était installé en moi va prendre un peu de repos. Je rechigne à voir la beauté de ce minéral. Je vois l’Autriche, elle n’est à quelques jours de marche. Officiellement. Car si j’en crois la langue parlée, l’architecture et les écriteaux, je suis en Germanie depuis que j’ai quitté Cortina. La frontière n’en sera pas vraiment une. En cette période caniculaire, la chaleur est parfois insupportable. Je suffoque. Effort et forte chaleur ne font pas un bon couple. Orage, au désespoir du randonneur en hyperthermie ne reste pas sourd! Il ne viendra pas pendant ma nuit à Merano, où je dormirai en transpirant, mais sera présent pendant ma soirée dans le massif du Texel et à Karthaus.
Karthaus,un village marquant sur ma Via Alpina des Dolomites à la Suisse
Karthaus est ma dernière étape en Italie. C’est un lieu un peu spécial qui m’a immédiatement envoûté. Petit village ceint d’un mur médiéval, karthaus est chargé d’histoire. Cherchant un coin où poser ma tente, j’ai fini dans le jardin public du village, près des murs. Je pose ma tente avec la bienveillance des locaux, espérant ne pas attirer l’attention des carabiniers. Le camping est interdit ici. Caractéristique de la Germanie: camper sauvagement n’est pas légal, il vous faut débourser des euros dans la vallée. Les voyageurs économes ne sont pas les bienvenus. c’est aussi un moyen d’éviter que des hordes de vacanciers ne viennent saccager l’environnement. Mais une dérogation officielle pour ceux qui bivouaquent ferait du bien. Aujourd’hui, je vais m’en passer.
Une douche sommaire au robinet du jardin, une bière fraîche dans l’estomac, et me voilà dans les ruelles du village. A l’origine c’était un monastère chartreux, pendant quelques siècles, avant que les moines soient chassés par le souverain de l’époque. Des paysans sont venus vivre dans le monastère et ont construit le village autour des bâtiments initiaux, partiellement détruits dans un incendie. Le cloître est encore debout et les cellules des moines également. Une énergie très paisible émane de cet endroit et j’aime m’y balader, imaginant la vie des moines à l’époque, faisant le tour du cloître comme je ferais le tour d’un stupa au Tibet. j’ai besoin de me connecter au sacré, qu’il soit dans la beauté sauvage de la nature ou dans les murs chargés de spiritualité d’un ancien monastère.
Bain de foule
Il y a maintenant beaucoup de monde sur ma voie. La via alpina partage son itinéraire avec l’E5, un chemin européen de grande randonnée. La section entre Oberstdorf en Allemagne et Merano en Italie est très prisée des marcheurs allemands. Les sentiers perdus du fond de l’Italie sont loin. D’une route départementale de randonnée, je passe à une autoroute au trafic estival très intense. Surtout que je croise tous les randonneurs, car l’E5 se parcourt du nord au sud et je vais en sens inverse. Il parait que le covid a dissuadé beaucoup de monde à se lancer sur l’E5. Je n’imagine pas ce que pourrait être la fréquentation de ce chemin un été normal.
Lorsque j’arrive à la frontière autrichienne, au col Similaun, à 3001m, je prends un bain de foule. Le refuge concentre toute la présence humaine dans le secteur. Je m’enfuis en quête de tranquilité. Avant de rencontrer un randonneur qui va vers le nord comme moi! Miracle, je croyais que ça n’existait pas! Il est allemand (comme(presque) tout le monde ici) et c’est sa première grande randonnée. Nous échangeons un peu et nous retrouvons de temps en temps sur le chemin. Il a envie d’avoir de la compagnie.
Trio
Poursuivant seul jusqu’à Vent, car Bjoern s’est arrêté plus haut dans un refuge, je cherche un endroit où bivouaquer. J’hésite car si je choisis mal je finirai avec une amende. Ils sont stricts par ici. Après une courte réunion de crise avec moi-même, je finis ma bière et décide d’investir dans l’immobilier local, pour la nuit. Sage décision la pluie sera encore de la partie en fin d’après midi.
Les prévisions annoncées très mauvaises m’ont convaincu de remiser la tente au fond du sac. Après Vent je dormirai deux autres nuits en refuge. Je deviens un randonneur 5 étoiles. Braunschweiger Hutte sera ma prochaine destination. En chemin, je rencontre Paul, un irlandais vivant aux Pays Bas: il fait aussi la Via Alpina, à un rythme moins effréné que le mien. L’étape du jour est courte, je vais lentement et nous partageons donc le chemin, bientôt rejoints par Bjoern. Un trio est né pour quelques jours. Le refuge, que nous atteignons pour déjeuner, se situe à l’envers d’une horrible station de ski qui défigure la montagne. Les hommes ont du talent pour insulter les espaces sauvages.
Heurts et bonheurs dans les refuges autrichiens
Les refuges DAV (club alpin allemand) sont légions ici. Quelques-uns sont gérés par l’OAV (le club alpin autrichien). Ils fonctionnent tous sur le même modèle: un genre d’hôtel de montagne où la restauration se commande à la carte.
Les hordes de randonneurs allemands parcourant l’E5 vident quotidiennement des mètres cube de bière accompagnées de tout un tas de plats bien gras et bien carnés. Les gens consomment en permanence, de nombreux serveurs viennent souvent nous solliciter pour savoir si l’on désire quelque chose. J’en viendrai presque à sentir que je gène alors que je ne consomme pas. Le décalage est abyssal. Le va-et-vient des serveurs, le brouhaha des groupes, l’agitation des convives excités par l’empilement des bières dans leur estomac me chassent de cette salle. Ils viennent faire la fête, je viens faire la paix intérieure et je n’arrive pas à associer les deux. Je me replie sous les couvertures du dortoir.
Un autre saut de puce plus tard, je me retrouve avec Paul dans un autre refuge, plus calme celui là, du moins la journée. Bjoern a réservé dans un refuge un peu plus bas. La pluie a rendez-vous avec la montagne aujourd’hui et j’ai décidé de les vivre leur vie. Une autre après-midi sous les couvertures. Bien entendu nous n’échappons pas au groupe d’allemands dans le dortoir. Ils ont un solide profil de ronfleurs et sont moyennement sympathiques. J’espère passer une nuit tranquille. Quelques heures plus tard, mes boules quies hissent le drapeau blanc. Les ronfleurs allemands ont gagné. Impossible de fermer l’oeil, mais j’ai prévu mon blanc B: fuir le dortoir et gagner à l’insu de tous un dortoir vide.
Winter is coming
4 août 2020. C’est l’hiver le plus précoce de ma vie. La pluie a insidieusement profité de la nuit pour se transformer, ni vue ni connue, en neige. Au dessus de 2000m, 15 à 20cm de blanc ont chassé l’été. Paul et Bjoern sont ravis que je les conduise à travers ce terrain nouveau. Ils ne connaissent pas la rando hivernale et sans moi ils seraient passés bien plus bas que l’itinéraire officiel de la via alpina.
Nous sommes pourchassés par d’innombrables flocons de neige qui viennent délicatement fondre sur nos visages. L’hiver dans la douceur. La pluie nous attendait avec impatience plus bas et fit de son mieux pour qu’aucune partie de nos corps ne puisse rester au sec. Elle savait peut-être qu’on ne se reverrait pas avant le 10 septembre. Aussi avait-elle probablement à cœur de me laisser un bon souvenir, qu’un bon déjeuner dans une boulangerie de Zams effacerait rapidement.
Variante dans ma traversée des Alpes sur la Via Alpina
Passé Zams c’est la dernière ligne droite dans le Tyrol, en route vers le Liechtenstein. La via alpina des Dolomites à la Suisse passe par l’Allemagne mais une étude de la carte m’a donné envie de cheminer sur une alternative haute route inspirée du sentier de l’Aigle alors que le temps s’annonce beau et stable pour les prochains jours. C’est l’occasion de dire adieu aux grappes d’allemands sur le E5. Etonnants ces allemands: ce sont un peu les japonais d’Europe, ils marchent de façon très groupée, les uns derrière les autres, formant une sorte d’unité au rythme plutôt lent. Chaque fois que je croise une grappe, je m’écarte sur le côté et j’attends que ça passe. Je ne suis pas fâché de retrouver des espaces moins fréquentés.
Besoin de solitude
Paul m’accompagne sur cette haute route. Il s’efforce de suivre mon rythme, je l’attends. La facilité n’est pas toujours de mise sur l’itinéraire. Il faut parfois grimper, s’accrocher à un câble, regarder en bas en se disant de ne pas glisser. Le chemin se fait plus joueur et exigeant. Il a trouvé une bonne alliée en la personne de la neige qui brouille les pistes, se dérobe sous nos pas, se fond dans nos chaussures. La montagne se saurait nous accepter ici sans réclamer un droit de passage.
Même si j’apprécie vraiment la sympathique présence de Paul, je ressens un appel profond à retourner vers la solitude. Je ne cherche pas la compagnie pendant ce voyage, du moins pas le partage sur une longue durée. La montagne et toute la vie qu’elle accueille m’entourent, me portent, me nourrissent. Je suis en présence de cette vie et de moi-même. J’aime cet équilibre. J’aspire à ressentir le plus intensément possible ma connexion avec la terre qui me porte. J’aime aussi la liberté totale offerte par ce voyage: celle de vivre totalement à mon rythme, en parfaite harmonie avec mes envies. C’est l’occasion de me libérer des contraintes du quotidien, d’avoir à penser à l’autre et parfois pour l’autre, de faire en fonction des besoins du collectif. Partir seul est une bouffée d’air vrai (et frais), qui me permet aussi de recontacter tous mes besoins pour les nourrir.
Quand ça devient difficile
Je me retrouve donc seul, et heureux. Les portions techniques s’enchaînent, parfois à l’insu de mon plein gré. Il faut dire que ne pas parler allemand peut poser parfois problème lorsqu’on ne peut déchiffrer les avertissements des panneaux et que le réseau téléphonique, qui aurait pu ouvrir les portes de google traduction, est aux abonnés absents. « Alpine erfahrung, trittsicherheit und schwindelfreiheit erforderlich ». Qu’est ce que cela veut dire? Je me pose cette question à un embranchement, alors que le sentier que je veux prendre fait l’objet de cet avertissement que je pressens destiné à éviter que n’importe qui se rende dans le secteur.
C’est très bien de marcher seul et d’être connecté à ses besoins, mais ça n’aide pas à traduire l’allemand. Il n’y a en effet personne sur le chemin, à part moi. Je dois prendre la décision d’y aller ou pas. Me faut-il une corde? L’exposition est-elle importante?
J’écoute mon instinct, un peu fébrile quand même, et je me lance. Le sentier est parfois inexistant, emporté par des glissements de terrain. Je dois faire attention avec mes chaussures qui font de plus en plus valoir leurs droits à la retraite. Et puis j’arrive sur LE passage en question. Une étroite vire posée parfois sur un aplomb vertigineux, parfois sur un terrain instable, parfois si ténue qu’il est impossible de se tourner. La montagne, devenue très sérieuse, exige toute mon attention. Rien de bien compliqué cependant. Je sors, soulagé que ce ne soit pas si difficile finalement.
Contemplation
Les paysages du Vorarlberg sont verdoyants et créatifs. Le calcaire fait des merveilles et les alpages bien entretenus ne font que le mettre en valeur. Mû par l’envie de les découvrir, j’empile les kilomètres. Les cols, sommets et vallées se succèdent au rythme des heures de marche. Chaque pas appelle le suivant, chaque ligne de crête est une invitation à aller voir au-delà. Pourtant, chaque pas est aussi une occasion de s’émerveiller, de sentir la terre sous mes pieds ou le vent sur mon visage. Je ne vis pas dans la hâte de découvrir ce qu’il y a après, ce que je ne vois pas encore.
Mais une forte dynamique est inscrite dans ma marche. Je m’interroge. Cette dynamique ne m’empêche-t-elle pas de profiter pleinement des paysages? Je voudrais m’imprégner dans ces hautes terres, avoir le sentiment d’en faire partie. Je voudrais prendre ces temps de contemplation où il n’y même plus personne qui regarde les paysages, où il n’y a plus cette idée d’un moi qui serait témoin de ce qu’il voit, où l’instant présent est totalement intégré. Juste être là et ne rien faire, jusque dans mes pensées.
Trouver ma voie
Je lâche prise. Je voulais essayer de transformer la manière dont je marche, la rendre plus immobile par moment. Mais, sans que « je » décide quoi que ce soit, en laissant l’énergie de mon corps choisir, c’est le mouvement qui continue à structurer mes journées. Les pauses sont bien là, mais il n’y a aucun besoin de rester un long moment à regarder les montagnes. Elles s’imprègnent en moi plus que je ne peux m’imprégner en elles.
Certains aiment contempler statiquement, se donner le temps d’être là. Mais je ne pense pas qu’on soit davantage dans l’instant présent si l’on s’arrête 1h à un endoit pour nourrir le regard ou si l’on poursuit son chemin. La présence est surtout la qualité d’attention portée à ce que l’on fait. Si je ne fais que penser à après, si je ne fais que rechercher cette crête plus loin qui sera forcément plus grandiose que l’endroit où je me trouve, alors je ne verrai pas la beauté du pas que je suis en train de faire. Mais si je vis intensément ce pas, tout en sachant où je vais, alors je le laisse m’apporter tout ce qu’il doit. J’accepte d’être dynamique, je ne l’oppose plus à la contemplation.
En route vers la Suisse
Je termine ma haute route à Bludenz où je tente en vain de trouver de nouvelles chaussures. De là, je prends un train pour Feldkirch où je m’octroie mon seul jour de repos sur la via alpina. Il ne me reste qu’un massif à traverser avant la Suisse, à cheval entre l’Autriche et le Liechtenstein. Tellement à cheval que je ne verrai même pas la frontière. La météo a décidé de me chouchouter et je vais pouvoir le traverser en restant sur sa partie la plus haute, hérissée de sommets calcaires qui ne se laissent approcher qu’avec des échelles posées sur la roche, des câbles et une amitié solide avec les à-pics vertigineux.
Mais ces montagnes ont le sens de l’équilibre: elles savent prendre soin du besoin de douceur des êtres humains, se parant d’épicéas élancés, de prairies fleuries, d’alpages aux couleurs chatoyantes qui feraient le bonheur des publicitaires pour une fameuse marque de chocolat.
L’Autriche s’achève sur ces sentiers escarpés. Le Liechtenstein ne sera qu’une parenthèse presque invisible. Maintenant, je marche vers la Suisse. Je suis heureux d’être là, je serai aussi heureux d’être là bas. Dans le bus qui m’amène de Vaduz, je savoure mon bonheur.
Conclusion de la Via Alpina des Dolomites à la Suisse
Après un premier opus entre la Slovénie et l’Italie, marqué par des incertitudes et une météo pas si estivale, j’achève cette seconde partie avec un état d’esprit très différent.
Deux semaines de marche, trois pays, des univers et des climats très différents: cette deuxième partie de la traversée a été très riche en découvertes. Alors que j’arrive au terme de mon premier mois d’itinérances, je suis maintenant immergé dans la marche. J’ai trouvé mon rythme, accepté les aléas, fait mes choix quant à la manière dont je voulais marcher. Le corps fatigue moins et je trouve ma place dans cet environnement. Je m’abandonne à l’énergie de l’instant et j’y trouve beaucoup de plénitude. Maintenant, de nouvelles portes s’ouvrent devant moi: celles de la Suisse. Je suis heureux de rentrer dans ce nouveau pays que je ne connais pas, mais dont la beauté m’a déjà été contée.
Matériel utilisé pour la Via Alpina des dolomites à la suisse
Voici dans cet article l’équipement et matériel utilisé pour réaliser la Via alpina :
2 commentaires
Hello !
Merci pour ce beau récit.
Petite question, j’ai fait une partie de la via alpina verte il y a deux ans de Meiringen à Montreux, et c’était absolument sublime.
J’aimerais faire cet été une partie d’une via alpia, sur une petite semaine (entre 5 et 7 jours de marche), cherchant beaux paysages alpins sauvages et sentiers pas trop fréquentés. Auriez vous un conseil ? 🙂 Merci beaucoup !
Bonjour
Merci pour votre retour !
Comme idée je suggère de partir de Feldkirch et de continuer en direction de Monaco pendant quelques jours sur cet itinéraire, entre Italie, Suisse et Autriche. C’est splendide, apparemment car je ne l’ai pas fait.