Via Alpina, opus 1 : de la Slovénie aux Dolomites

par Julien DEFOIS
traversée du parc national du triglav sur la via alpina rouge-min

Julien Defois nous partage son expérience de la traversée des Alpes à pieds en suivant la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites.

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Informations pour préparer sa Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Date :

du 9 au 20 juillet 2020

Lieu :

Slovénie, Alpes Juliennes, départ de Bohinjka Bistrica. Italie Pré Alpes, Dolomites, fin du tronçon à Cortina d’Ampezzo.

Comment s’y rendre :

De Toulouse, il est possible de se rendre en bus à Ljubljana avec Flixbus (un changement). L’avion est une possibilité mais il faut passer par Paris ou l’Allemagne.

Je m’y suis rendu en train, avec un nombre conséquent de changements et une nuit à Milan:il faut compter 2 jours de voyage. J’ai passé la frontière italo-slovène à Gorizia. J’ai utilisé le site des chemins de fer italiens en version française pour réserver des billets mais je n’ai pas eu autant de succès avec le site ferroviaire slovène. Aucun souci cependant, on peut prendre le billet dans le train ou à la gare. J’ai payé environ 120€ mon trajet.

Le retour de Cortina d’Ampezzo vers Toulouse commence par un trajet en bus vers Venise. Plusieurs compagnies proposent des trajets à des prix similaires. J’ai utilisé avec satisfaction Cortina Express et ATVO. De Venise, selon le temps dont vous disposez, vous pouvez prendre le train vers la France (plusieurs changements à prévoir) ou l’avion. Les bus s’arrêtent à la gare ferroviaire et à l’aéroport. J’ai dépensé 110€ pour le retour en bus et en train.

Participant à la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites:

Julien 41 ans. J’habite pas loin de Toulouse. Je connais bien les Pyrénées alors quand je veux j’aime aller visiter les montagnes du monde à pieds ou à skis. J’ai un gros coup de cœur pour la rando longue distance.

Où dormir sur la Via Alpina :

casera pieltinis via alpina étape B14

Sous les étoiles ou dans votre tente ! Cela donne le maximum de liberté. Le tracé de la Via Alpina permet à tous ceux qui ne veulent pas porter le couchage et la nourriture de faire étape chaque jour dans des gîtes, des hôtels ou des refuges. Il y en a pour tous les goûts !

En dehors du camping sauvage, j’ai dormi dans les lieux suivants :

Bohinjka Bistrica : Camp Danica. Très bien et idéalement situé.
Refuge Dom Na Komni : accueil sympathique dans ce refuge récent. Penser à réserver la demi pension au moins 48h à l’avance. Etape R10.
Base Camp, camping à Bovec. Petit camping confortable fréquenté par les amateurs de sports de pleine nature.
Rifugio Monte Sernio : petit refuge non gardé bien placé au calme dans une forêt de pins au pied du Monte Sernio. Etape B12. Théoriquement fermé pour cause de covid mais bon…
Rifugio Tenente Fabbro : un peu à l’écart de la Via Alpina (2-3km de la Sella Razzo), étape B15. Bonne cuisine locale.
Rifugio Galassi:je n’y ai pas dormi mais j’ai pu goûter les spécialités cuisinées par les bénévoles du CAI de Mestre qui se relaient toute la saison pour faire vivre le refuge. Un des meilleurs accueil de toute la Via Alpina. Etape B18.

bivouac à sella grubia

Où manger et se ravitailler

Chaque village compte une épicerie et en général une boulangerie. Les refuges qui jalonnent le chemin sont autant de possibilités de manger ou de s’offrir une boisson rafraîchissante. Les italiens ne sont pas très doués pour le pain et il faut attendre le Sud Tyrol pour trouver des boulangeries de qualité.

Offices du tourisme :

Bohinjka Bistrica
Cortina d’Ampezzo

Caractéristiques de la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

traversée de l'arc alpin à pieds massif du Kanin

La Via Alpina est un réseau de sentiers qui connectent les Alpes. Le principal itinéraire, le rouge, part de Trieste et traverse tous les pays de l’arc alpin jusqu’à Monaco en 161 étapes. D’autres itinéraires proposent des alternatives mais sont d’une manière ou d’une autre connectées à la Via Alpina rouge :

L’itinéraire jaune, que j’ai suivi, part de Trieste et traverse les Alpes italiennes en direction des Dolomites où il s’attarde assez longuement. Il monte ensuite vers le nord à travers l’Autriche pour rejoindre le tracé rouge en Allemagne, sur 40 étapes.

L’itinéraire violet se sépare de la Via Alpina rouge au nord du Triglav. Il fait un grand crochet dans les montagnes autrichiennes et passe aussi par l’Allemagne (66 étapes).

L’itinéraire bleu quitte le tracé rouge au sud de l’Oberland suisse et passe l’essentiel de son temps en Italie. Il revient en France à Larche, suit le GR 5 avant de rejoindre le tracé rouge à Sospel (61 étapes).

L’itinéraire vert traverse la Suisse d’est en ouest. C’est un chemin très connu en pays helvétique et aussi fréquenté (14 étapes).

sigle de la via alpina

Pour faire ma Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites, j’ai dû improviser un itinéraire car il n’y a pas de connexion entre l’itinéraire rouge et l’itinéraire jaune. A Trenta, j’ai pris la route pour Bovec d’où j’ai continué à marcher pour rejoindre le Val Resia et l’itinéraire jaune, côté italien.

Le parc national du Triglav où j’ai commencé ma randonnée interdit le camping : nuit en refuge obligatoire ! Il y en a de nombreux dans le parc. C’est une région karstique où l’eau peut être rare : prévoir des réserves !

D’ailleurs, même si je n’ai jamais manqué d’eau, tout l’itinéraire se fait sur du terrain calcaire où l’eau n’est pas toujours très abondante.

passo de la forcella via alpina jaune étape B14

Dans les Pré Alpes carniques, il y a de longues sections bitumées ou sur piste forestière. Ce n’est pas la région la plus sauvage mais elle est éloignée des centres touristiques : c’est un coin très authentique !

sur la via alpina jaune au dessus de stolvizza

Autres expériences de la Via Alpina

Quoi d’autres dans les environs

Pour ceux qui recherchent un itinéraire de grande randonnée qui reste en Slovénie, le Juliana Trail fait une belle boucle de plus de 300 km au départ du lac Bohinj.

Une autre randonnée longue distance assez méconnue est l’Alpe Adria Trail qui part du Glossglokner en Autriche et rallie Trieste en passant par la Slovénie sur 750km.

Voici un article qui peut vous intéresser si vous souhaitez faire un voyage dans les dolomites.

Bibliographie

Un livre raconte la traversée de la Via Alpina : Via Alpina, 2500 km d’une mer à l’autre, de Vincent Tornay, édition Rossolis

Liens internet 

traversée des dolomites sur la via alpina

Je recommande vivement le site de la Via Alpina, très bien fait et plein d’informations pratiques pour préparer son itinéraire.

Je me suis aussi aidé du blog de ce randonneur qui a suivi à peu près le même itinéraire que moi, en sens inverse.

J’ai beaucoup aimé le film de Matthieu Chambaud qui raconte sa Via Alpina et les rencontres qu’il a faites sur le chemin : Via Alpina, l’envers du Chemin.

Tous ces sites m’ont permis de rêver mon chemin !

Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Prologue : appréhender le voyage différemment

Dans le train en Slovénie pour aller au départ de la Via Alpina
Dans le train en Slovénie

La nuit tombait sur Bohinjska Bistrica. Je fus accueilli par les dernières lueurs du jour en descendant du train. Un petit autorail qu’on aurait daté de l’époque soviétique m’avait acheminé au  départ de ma traversée. C’était le terme d’un voyage ferroviaire qui aurait fait frémir le plus aguerri des franciliens se rendant au travail. Mon postérieur criait grâce après ces heures passées sur les banquettes et je découvrais avec surprise que rester assis à regarder le paysage défiler pouvait être une activité épuisante.

Arrivée à la gare de Bohinjska Bistrica
Arrivée à la gare de Bohinjska Bistrica

Je remerciai l’Europe qui avait permis que je puisse utiliser mon téléphone comme en France et, sagement guidé par googlemaps, je me dirigeais vers un camping réservé en catastrophe. Trenitalia, la compagnie ferroviaire italienne, faisait de grands efforts pour rivaliser en retards avec la SNCF et je fus gâté par cette journée, tant et si bien que j’arrivai après l’heure de fermeture du camping. Les miracles de l’internet mobile m’avaient sauvé du désastre du camping sauvage au milieu d’un village en me permettant de contacter sur le tard le camping afin de les prévenir de mon arrivée tardive.

Pourquoi y aller en train ??

Le covid 19 n’avait que confirmé mon choix initial de me rendre en train au départ de la traversée. Grand consommateur de voyages lointains, j’avais largement explosé mon bilan carbone ces dernières années, et ce également pour mes deux ou trois prochaines vies. Pour la première fois depuis des années, je décidai de passer mes longues vacances d’été sur le continent européen.

J’avais eu envie de me déplacer plus doucement, plus sobrement aussi. Le train, très terrien, ouvrait à la rencontre, à la découverte des villes, des paysages. L’avion voyait la vie de très haut et, perché au-dessus du monde, on en percevait au mieux l’immensité, et non pas ces petits détails qui font la richesse du voyage, quand nos yeux n’étaient pas rivés sur l’écran incrusté devant nous pour alléger le poids des heures passées enfermés.

En ces temps volatiles où les frontières s’ouvraient un jour pour se refermer le lendemain, le billet d’avion valait son pesant d’incertitude, quand celui de train, pris au dernier moment, rapportait flexibilité et légèreté. Les frontières perdaient de leur imperméabilité. Si j’avais pris un billet d’avion pour aller en Slovénie, j’aurais probablement été refoulé à l’arrivée, compte tenu des règlementations locales.

Arrivant par l’Italie, je passais la frontière à Gorizia, à pieds, et dans une solitude absolue. Coupant la ville deux, le poste frontière, déserté et épargné par les règlements absurdes, me rappelait le monde avant que la folie du covid ne s’en empare. Je traversai la frontière avec la satisfaction jouissive qu’aurait pu ressentir le poisson passant entre les mailles du filet.

Prévoir une issue de secours

Mon dernier long voyage en Amérique du sud, à l’été 2019, avait été difficile. Le voyage est pour moi d’abord une ouverture à l’inconnu, à l’imprévu. Pour paraphraser Forrest, le voyage, c’est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber. Parfois, comme en 2019, le chocolat du voyage est trop amer et il peut me tarder d’abréger l’expérience. Partir en Europe m’offrait une issue de secours si jamais le voyage tournait à l’indigestion, un luxe que les voyages lointains ne me donnaient pas: je pouvais rentrer chez moi facilement.

Faux départ

Le lac Bohinj
Le lac Bohinj

Epuisé par ces deux jours sur les rails, et privé d’une nuit réparatrice par mon arrivée tardive, je dus mon salut à la météo: une perturbation orageuse était prévue le lendemain. Il n’était donc plus question de m’infliger une première journée titanesque. La météo m’avait protégé de la tentation de ne pas écouter les doux murmures de la fatigue: je serais contraint d’y céder. Et j’en étais ravi.

Ce n’était pas ma première qualité que de commencer une randonnée en douceur. A fond du début à la fin, tel aurait pu être mon credo. Croyant que je manquerai de temps pour aller au bout de la traversée, je m’étais préparé à aller aussi vite que possible. Mais mon empressement n’était pas au goût de la vie, qui avait décidé de m’enseigner autre chose: prendre son temps, car le bonheur est dans le chemin. Ce qui n’allait pas encore/tout le temps de soi pour moi, avide de tout voir et de tout parcourir.

Début en douceur

Mon heure de coucher très tardive offrit à la fatigue encore une journée de répit en ce samedi où débutait ma traversée. Le ciel déjà couvert annonçait que la météo était dans le juste et invitait à ne pas trop flâner. Ce que me confirmèrent les gardes du parc national du Triglav rencontré à Ukanc, le point de départ de ma Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites, me conseillant de devancer les orages tout proches.

Ma destination était un hébergement de montagne répondant au doux nom de Koca Pri Triglavskih Jezerih. Les slovènes semblent avoir un goût pour les noms imprononçables . Ne vous fiez pas aux lettres, le rendu oral de ce nom nécessitant sans doute plusieurs heures de pratique avant d’être parfait. J’avais environ 3h de marche pour l’atteindre, ce qui me laissait bon espoir de n’être mouillé que par la transpiration.

Retour de l’improvisation

D’imposants murs de calcaire barraient l’accès des hautes terres du parc national. Le chemin semblait improbable: je cherchais à le deviner, mais mes yeux se perdaient dans la verticalité minérale. L’espoir demeurait: ça et là, des saillies vertes laissaient imaginer une faiblesse dans les remparts et la carte promettait que le sentier existait.

via alpina rouge parc national du triglav
Un lac sur le plateau karstique

Mes jambes n’avaient pas le moral. Je les sentais récalcitrantes à la montée, molles et l’énergie me faisait défaut. On dit que l’appétit vient en mangeant, je voulais croire que la forme viendrait en marchant. Je croisai un slovène avec lequel j’échangeais un moment. Il me déconseilla d’aller au refuge au nom imprononçable. L’accueil était désagréable et l’avidité des gardiens l’avait déçu. Il me recommanda un autre refuge au nom imprononçable. Amoureux des improvisations, je ne pouvais résister à la possibilité de changer ma destination, surtout avec des arguments convaincants. Mon nouvel objectif ne me rajoutait pas de temps de marche aujourd’hui mais il me déroutait un peu pour le lendemain.

Farniente

J’arrivai au refuge peu avant 13h et la tempête. La muraille avait fini par céder et m’avait donné son accord pour que j’accède au haut plateau sur lequel se trouvait ma chambre individuelle. Luxe improbable, le gardienne m’avait en effet attribué un hébergement individuel: les dieux du repos étaient avec moi. Je ne tardais pas à aller les honorer d’une solide sieste propulsée par la digestion du déjeuner, pendant que l’orage faisait rage, au dehors. Derrière une vitre, l’orage est un spectacle merveilleux, de l’autre côté de cette même vitre, il est synonyme de danger, parfois de terreur, et souvent de douche froide.

Nébulosité du dimanche

Je laissais les heures défiler à l’abri de mon cocon inespéré et le matin finit par venir. Déception. Les nuages n’avaient pas pliés bagages comme promis par la météo. Moi qui espérais profiter des splendides paysages du parc national, je ne verrais que de l’eau en sustentation.

forêt dans le parc national du triglav sur la via alpina rouge
Nuages persistants

Pour autant, aucun appel à la gréve de la marche n’avait été lancé en mon for intérieur et bientôt, j’arpentais les sentiers dans une ambiance cotonneuse. Passé le refuge au nom imprononçable où je devais dormir initialement, une intuition me vint: là où j’allais le soleil m’attendait. Cette intuition ressemblait à une promesse de politicien en campagne pour la présidentielle: on donne l’espoir mais rien n’arrive. Mais la nature n’a rien de politique et ce que l’on peut y ressentir est parfois très juste. A l’approche d’un lac, les nuages fatigués d’être montés si haut, décidèrent de s’arrêter là, laissant un ciel bleu triomphant baigner les cimes les plus élevées du parc.Le luxe, c’est le cadeau de l’inespéré.

traversée du Triglav via alpina rouge Dolina Triglavskih
Lac Ledvicah
Lac Ledvicah

Les hautes terres

traversée du parc national du triglav sur la via alpina rouge
Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites, étape R12

Il me fallait bien du bleu céleste pour contraster avec l’austère et monochrome symphonie minérale du Triglav. Partout le calcaire régnait en maître impitoyable, dévorant chaque jour un peu plus les îlots de neige rescapés de l’hiver,avalant la moindre goutte d’eau et tolérant seulement quelques éparses touffes d’herbes. En ce dimanche, il y avait un peu de monde sur le sentier mais les grands espaces donnaient aux randonneurs toute la latitude pour se croire presque seuls au monde. Quelques personnes se trouvaient au refuge Koca Na Dolicu, dominé par de vertigineuses élancées minérales qui montaient jusqu’au Triglav lui même. J’y prenais un pique nique bien mérité.

entre le lac Ledvicah et  Koca Na Dolicu traversée des Alpes à pieds
col dans le parc national du triglav à zob kanjvca

C’était dans la descente vers Trenta que les gardes du parc m’avaient averti de la présence de neige. Sur la carte, les pentes raides ne donnaient pas envie de plaisanter et les images que j’avais vues confirmaient bien qu’un piolet pourrait être une présence rassurante. Je trimbalais donc mon paratonnerre dans cette attente, avec pour projet d’en faire cadeau une fois passées les plus verticales forcellas (brèches) des Dolomites. Quelle ne fut pas la déception du piolet lorsqu’il réalisa qu’il devrait rester accroché au sac! En effet, la neige fuyait dans les entrailles de la montagne et ce qui restait n’offrait qu’un agréable terrain de jeu pour couper à travers l’abrasive rocaille.

traversée des Alpes descente vers Koca Na Dolicu
La descente vers Trenta depuis Koca Na Dolicu

Se nourrir de belles choses

entre Koca Na Dolicu et Trenta
parc national du triglav traversée des alpes

Le décor était époustouflant: le Triglav perçait l’air comme une forteresse protégée par des parois infranchissables, immenses: la roche avait trouvé le chemin le plus direct vers le ciel. Aucune faiblesse naturelle n’offrait aux hommes une voie facile: ils durent creuser la montagne pour trouver, à leur tour, le chemin vers le ciel. Les vallées étaient en effet étouffées par ces murs de pierre.

étape R13 Via Alpina
Le sentier, taillé dans la roche

Arrivé à Trenta, je devais prendre un bus pour Bovec d’où je passerai en Italie. Première interruption du parcours pédestre: je n’avais pas trouvé d’itinéraire satisfaisant pour rejoindre Bovec à pieds et un des mots d’ordre de la marche. Je m’étais engagé à éviter les tronçons ennuyeux, en bord de route, pour me concentrer sur les parties les plus belles et sauvages. Je n’avais pas besoin de parcourir chaque mètre à pieds. Ce n’était pas le sens de ce voyage: traverser les Alpes, c’était m’immerger là où mon coeur m’appelait, sans la moindre gêne pour un petit coup de main motorisé si nécessaire. Je n’avais plus rien à me prouver, je voulais éviter l’effort, le dépassement de soi, la souffrance. La joie comme maître spirituel, l’écoute de soi comme boussole sur le chemin.

Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites sortie du parc national du Triglav
Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Etape à Bovec

Il me fallait attendre un long moment avant son arrivée et l’appel d’une bonne bière fut suffisamment pressant pour que je décide de lever le pouce sur la route passante qui me conduisait à ma destination finale du jour. Je n’eus pas trop à patienter avant qu’un montagnard local me prenne dans sa voiture et me dépose au camping que j’avais choisi, où je pus goûter à un éphémère paradis. En ce jour du seigneur, j’accomplis la sainte trinité du randonneur: douche, bière et pizza.

Camping Base Camp à Bovec
Camping Base Camp

L’aurore est particulièrement matinale en Slovénie. L’heure est la même qu’en France et donc le soleil s’y lève très tôt. Vers 5h du matin, la lumière frappe à mes paupières, sans aucun respect pour mon sommeil perturbé par les bruyants ronflements venus des tentes avoisinantes. La nature fait bien les choses: pas moins de 2000m de dénivelé m’attendent aujourd’hui. Elle sait que je n’ai pas le temps de trainer au lit.

Manque d’énergie et questionnements

1600. C’est la différence d’altitude entre Bovec et la frontière italienne au col Prevala, d’où je dirai « au revoir » à la Slovénie. Ce premier col du jour demande un appétit de dénivellation féroce. Mais je suis plus à l’indigestion en ce lundi matin. L’entrain me manque. L’ampleur de la journée m’écrase, la tâche semble immense. Faire la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites s’avérait légèrement plus difficile que de passer quelques heures à lire un bouquin sur son canapé un après midi de pluie.

col prevala traversée entre la Slovénie et l'Italie
Le col Prevala et les remontées mécaniques de Sella Nevea

Je me questionne sur la pertinence de ma démarche. Je pense aux amis restés en France, à certains qui se retrouvent à un rassemblement chamanique auquel j’aurais aimé participer. N’ai-je pas mieux à faire qu’une épreuve sportive de plus? J’ai déjà tant marché dans ma vie…Je ne fais que refaire ce que je connais déjà par coeur, dans un cadre différent. Qu’est ce que cela va m’apporter? N’est il pas temps de m’ouvrir au renouveau? Mon corps souffre en ces premiers jours de marche: peut être me dit-il qu’il a besoin d’autre chose maintenant?

J’ai le choix: je peux m’arrêter là et retourner en France. Mais je ne suis pas un monolithe, d’autres élans de vie se font entendre et une autre voix me pousse à continuer. Je n’ai pas encore complètement choisi d’être là, je ne trouve pas le plaisir tant recherché. Mais je me donne une chance d’essayer: la montagne est une école où l’on apprend à renoncer à l’immédiateté.

fleurs des Alpes rencontrée sur la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Les montagnes italiennes humanisées

bouquetin dans la station de sella nevea

Arrivé au col, je suis soulagé. L’essentiel du dénivelé est désormais derrière moi. Je me sens plus léger et comprends que ce que je ressentais dans la montée était le poids de l’effort à fournir. Je me sens léger et plus ouvert à savourer les paysages, même si ils sont bafoués par la station de ski de Sella Nevea. Mon exigence, dictée par les contraintes de l’étape (pas d’eau ni de bivouac possible), pèse sur mon moral. Je sens que le niveau des étapes n’est pas en parfaite adéquation avec ma forme du moment. Je vais devoir être vigilant, car la joie qui doit me guider ne tolérera pas beaucoup d’écarts.

bouquetin près de la sella bila pec traversée des alpes
Dans la montée vers la sella Bila Pec, je suis observé de près !

La station passée, j’entre dans un univers militaire. Les hommes n’ont pas attendu les stations de ski pour violer les sanctuaires sauvages d’altitude. Des restes de casernes, d’abris et des chemins taillés dans les flancs de montagne attestent de la violence qui a ravagé ces montagnes aujourd’hui paisibles. Le temps fait du bien à la nature, effaçant les outrages de la guerre. Les cîmes sont  maintenant gardées par les chamois et les bouquetins, sentinelles bienveillantes qui se font tirer le portrait pour mon plus grand plaisir.

bouquetins à Sella Grubia

L’Italie authentique

massif du Kanin variante via alpina
Le massif du Kanin

Déjà, je pressens les Dolomites: le massif du Kanin, que je traverse, et ses voisins, géants de calcaire aux larges pieds verdoyants, annoncent les splendeurs du plus emblématique massif italien. Le calcaire a un effet magnétique et dope mon sens de la beauté. L’itinéraire que j’ai choisi est un hommage à cette magnifique roche sédimentaire, au caractère bien trempé: il va de massif calcaire en massif calcaire, traversant quelques zones granitiques, infidélités consenties à regret.

edelweiss à sella grubia

Après 26km de marche, je me cache derrière les murs du cimetière de Stolvizza pour y passer la nuit. Stolvizza est un village paisible niché au fond du Val Resia, lui-même niché quelque part au fond de l’Italie. Ici, pas de touriste, ça fleure bon l’Italie authentique: Venise et les Dolomites semblent à des milliers de kilomètres. Des villageois se retrouvent au bar. Moi aussi. Je ne parle pas italien, personne ne parle anglais. Je me sens plus étranger que lorsque je suis allé à l’autre bout du monde. Mais j’ai une compagne compréhensive et douce, pendant un moment: une bonne bière locale. Son réconfort est inestimable. Un peu comme les locaux: elle ne me parle pas mais elle est très agréable et rafraîchissante.

le val resia et la via alpina jaune
Le Val Resia

Accident alimentaire

Je descends du bus au centre de Moggio Udinese. J’avais vite plié mes bagages et sauté dans un transport public destiné à m’éviter une longue section forestière sans grand intérêt paysager. J’avais quitté le Val Resia avec une pointe nostalgique, enchanté par la douceur du lieu, mais aussi par la force de la nature, préservée des folies bétonnées et des pistes de ski. Peu de lieux me laissèrent cette impression pendant ma via alpina de la Slovénie aux Dolomites, comme si les humains étaient ici les hôtes d’une nature bienveillante et puissante.

A Moggio, je laisse l’animal qui vit en moi s’acquitter de ses devoirs les plus fondamentaux: trouver de la nourriture. Me voilà dans une boulangerie, où je prends mon petit déjeuner, sans la moindre conscience du danger qui me guette. Un croissant dans la main, je goûte ma première viennoiserie italienne. A la première bouchée, je me dis qu’il ne vaut pas celui du pays. A la seconde, je me retrouve sur une scène de crime. Le croissant est fourré avec une gelée d’abricots affreusement sucrée et chimique. Je n’ai rien vu venir, ma bouche proteste vertement. Mais il me faudra tout manger: le sentier exige son pesant de calories.

Agenda encore trop chargé

moggessa di là
Mogessa, partiellement en ruines

Remis de ma déconvenue, je marche vers Moggessa, un village presque entièrement détruit par un séisme il y a quelques dizaines d’années. La nature ne plaisante vraiment pas dans ce coin d’Italie. Ecroulé sur le parvis de l’église du village, qui tient encore debout, je cède à la fatigue. Il n’est que 10h du matin et j’ai l’impression qu’il en est 20. Devant moi, 11 km et 1300 m m’attendent jusqu’au prochain col.

La fatigue redouble, me susurre de fuir ou à tout le moins de rester là pendant un temps indéfini, peut être quelques années, que l’effort est à proscrire. C’est le retour de mon adolescence. Je peine à trouver la motivation d’effectuer cette longue section en fond de vallée: le moral est vampirisé par le poids de la tâche qui ne trouvera pas de rétribution.

Une négociation avec moi même arrange les choses: si aujourd’hui est encore une grosse journée, les prochaines auront droit à leur part de farniente. Mes jambes sont d’accord pour me porter aujourd’hui jusqu’à la destination prévue. Pour autant, je note que je ne suis pas le même que d’habitude sur les sentiers, l’appétit du dénivelé, des distances et des paysages n’est pas venu en marchant. Je n’ai toujours pas choisi d’être là.

Vais-je devoir faire demi-tour ?

Cette montée est le premier crux de la traversée. Le site de la via alpina indique que plusieurs randonneurs ont fait demi tour dans cette vallée. Un pont disparu rend le franchissement d’une rivière difficile,sinon impossible. J’ai hésité à reprendre un bus pour le village suivant comme conseillé. Mais mon âme d’aventurier a finalement eu le dernier mot. Je tenterai le passage. Je tombe d’abord sur une première section en via ferrata au dessus de l’eau. C’est ludique.

Je crois avoir franchi le passage, me disant qu’il a entre temps été rééquipé. La montée se poursuit et je finis par arriver au fameux pont emporté. Un spit piqué dans la roche accueille une vieille corde qui descend verticalement sur la rivière quelques mètres plus bas. La corde est courte, il me faudra finir avec l’aide de mes seules mains. Rien de bien difficile en fin de compte.

via alpina jaune étape B11
Le passage de désescalade

Forcella Nuviernulis. Je suis dans la mâchoire d’un géant. D’immenses dents de calcaire me surplombent. Délivrance, j’ai parcouru ce long chemin qui avait envie de ne jamais en finir. Une nouvelle fois, je me sens soulagé quand le gros de la journée est derrière moi. Je m’en demande trop pour savourer. Ce n’est pas tant l’effort en lui même qu’un sentiment de privation de liberté: j’ai beaucoup trop à parcourir pour pouvoir flâner et prendre mon temps. Il ne tient qu’à moi de me donner ce temps. Je remets la pression à sa place, c’est à dire du côté de la bière.

Forcella Nuviernulis traversée des alpes de la slovénie aux dolomites
Forcella Nuviernulis
monte sernio via alpina jaune étape B12
Monte Sernio, Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Le caillou s’est jeté sur moi

Au milieu de la nuit l’eau me réveille. L’eau intérieure, celle que j’avais bu apparemment en trop grande quantité la veille. Je sors du refuge Monte Sernio où je passe la nuit en solitaire. Et voilà que l’eau du ciel se déverse par dessus celle dont je m’allège. Je ne l’attendais pas, les prévisions météo non plus. Au matin, elle n’est toujours pas partie et je goûte au privilège d’attendre au sec, bien abrité dans le refuge. Vers 8h30, le confinement est levé, le ciel n’est plus enrhumé.

palasecca di mezzo via alpna étape B12

Dans la descente vers Arta Terme, un gros rocher rencontre mon genou gauche. Je ne sais pas comment je me suis débrouillé pour le percuter. Je voudrais bien croire que le rocher s’est jeté sur moi, car je ne peux penser avoir lancé mon genou dessus, même par maladresse. Mais je dois me rendre à l’évidence: un rocher ne bouge pas comme ça. La douleur m’étourdit, ma tête tourne. J’ai la nausée. Je me demande si un accouchement est à ce niveau de douleur. Il me faut plusieurs minutes avant de reprendre mes esprits. Peut être que le voyage va devoir s’arrêter là. Je risque le redémarrage. Le genou tient, je peux marcher. Serais-je un footballeur professionnel?

Ça marche

Posé dans l’herbe à Arta Terme, je suis au tribunal du temps qui passe. J’attends le verdict du juge du refroidissement: si après la pause déjeuner la douleur est insupportable, je serai reconnu coupable de coup et blessure sur mon genou. Si elle passe, je serai acquitté. La justice fut clémente. Me revoilà le sac sur le dos, aux pieds d’une montée de 1200m. Je ne traine pas, une fois de plus: le soleil qui avait tenté de reprendre ses droits estivaux se voit une nouvelle fois contesté par une marée nébuleuse qui promet de faire des vagues.

On va pas en faire un fromage

malga dauda via alpina jaune
Malga Dauda

Les premières gouttes me rafraîchissent les bras. Elles me font du bien. Avec la précision horaire d’un train japonais, j’arrive à Malga Dauda, une bergerie/fromagerie, juste avant le gros des troupes aquatiques. Il me reste un peu de temps, aussi je trouve le berger pour lui demander de l’eau et du fromage. Pour le fromage, j’ai le choix: fromaggi ou ricotta. La ricotta est une boue jaune orangée. Elle ne ressemble pas à celle qu’on trouve dans des pots en plastique au rayon frais des supermarchés.

Je me risque à demander la différence entre les 2, dans mon italien balbutiant. L’homme beugle. J’ai l’impression d’avoir insulté sa famille sur plusieurs générations. Apparemment, cette différence relève d’une évidence qui m’échappe. Je ne comprends pas grand chose à ce qu’il me raconte. Il me parle comme si j’étais italien. Je crois deviner que la ricotta est fumée. Le fromaggi sera donc plus à mon goût. Le berger n’a pas l’air méchant, il est sûrement un peu rustre.

Je passe une soirée heureuse, à l’abri, à écouter la symphonie des gouttes de pluie sur la toile de ma tente.

Les nuages et la pluie, mes fidèles compagnons sur la Via Alpina

Sous le soleil, je plie ma tente encore humide. Je n’ai qu’une tranquille demi-journée de marche pour rejoindre Ovaro, où je dormirai dans un camping doté du luxe le plus absolu: la douche chaude. C’est mon cinquième jour de marche et l’eau chaude est maintenant un souvenir lointain et nostalgique. La montagne italienne est quasiment déserte: la plupart des malgas sont vides, le bétail n’est pas présent, quelques promeneurs sont aperçus ça et là, mais pas de randonneurs.

Il n’y a personne d’autre que moi sur cet itinéraire on dirait. Il faut dire qu’il passe loin des cibles touristiques majeures. Pourtant les paysages bucoliques de la moyenne montagne italienne ne manquent pas de charme. J’aurais aimé retrouver un peu de cet esprit communautaire où les randonneurs longue distance partagent sur le chemin le temps de quelques pas ou plus. Je me retrouverai moi-même et c’est déjà très bien.

monte et forcella avernis via alpina jaune étape B13

Perché sur une crête, je lis mon avenir. Les Dolomites pointent à l’horizon. Les nuages aussi. De petites touffes blanches apparaissent déjà. Il n’est que 9h. Elles s’élancent dans le ciel, formant des cheminées. L’oracle est catégorique: ces nuages là augurent de l’instabilité.

Improvisation

traversée des Alpes sur la via Alpina arrivée à Ovaro
Ovaro, premières maisons avec le style alpin

A Ovaro, ma déception est majeure: le camping est fermé, vaincu par le covid. Requiem pour une douche chaude. Je vais devoir dire « une prochaine fois! » à l’après-midi de repos prévue et continuer à marcher. Mais pas tout de suite. Je fais sécher ma tente en toute hâte. Le ciel bleu a une fois de plus renoncé, et plus rapidement que ce que je pensais. Il semble vouloir m’éviter ces derniers temps. La pluie n’aura pas la patience d’attendre que mes affaires soient prêtes à être réemballées. Elle n’a eu que faire de mes vaines supplications. Blotti dans un abri bus, je lui cède la priorité.

mione d'Ovaro repos pendant la traversée des Alpes
Une bonne après midi à Mione !

Au village suivant, Mione, je tente un bivouac. Une mamie me repère. On échange, elle parle français. Un grand jardin carré qui doit bien faire 100 de côté est au centre du village. La dame va voir les propriétaires pour solliciter un « j’irai dormir dans votre jardin ». Réponse positive. Après les déconvenues d’Ovaro, ce petit coup de main me fait du bien. Je m’installe dans un transat, l’après midi va être douce. D’autant que le ciel a décidé d’aller pleuvoir plus loin.

Questionnements, le retour

val pesarina grande traversée des Alpes
Val Pesarina, via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Maintenant, je suis en proie à la tentation. Les prévisions météo s’annoncent mauvaises jusqu’à la fin des temps semble-t-il. J’approche des Dolomites et je ne veux pas laisser ces merveilles aux nuages, aux orages ou à la pluie. Je n’ai pas toute ma forme non plus. Quel est donc le sens de se lancer dans ce massif sans pouvoir en profiter? Il y a une faille dans ma motivation depuis le départ et l’hésitation pleine de doutes en profite pour se glisser dans mon esprit. Elle s’amplifie avec cette météo trop humide. Et si j’allais ailleurs? Oui, mais où?

Julien au pays des merveilles

Lago di Sauris
Lago Di Sauris

Me voilà dans le Val Pesarina. Un écrin verdoyant d’une beauté merveilleuse. Mais il est 10h du matin et le soleil est déjà échec mat. De vagues pluvieuses inoffensives viennent de temps en temps crépiter sur ma veste. J’échoue à trouver une malga où j’aurais pu passer une nuit confortable. Posé près d’une ferme abandonnée, je me laisse aller à la fatigue pendant presque 1h, alors que le soleil retente sa chance. Je n’ai pas d’énergie. Rester là pour la nuit, continuer encore un peu et tenter de trouver un hébergement, j’oscille. Je finis sur le sentier et plus tard dans un gîte en chambre individuelle, bercé par une douche chaude, enfin.

sella festons via alpina jaune étape B15
forcella croce di tragonia via alpina de la slovénie aux dolomites
J’arrive dans les Dolomites !

Forni di Sopra: porte d’entrée dans les Dolomites et l’Italie touristique. Je vais maintenant jouer à passe-muraille: la terre des Dolomites orientales s’est hérissée d’immenses parois semblant refuser le moindre passage. Caché par des illusions d’optique, il se devine au dernier moment, laissant parfois le randonneur croire qu’il s’est trompé de chemin. C’est un royaume aux multiples majestés, forçant le respect, l’admiration, l’humilité: je ne peux passer qu’aux pieds de ces roches, jamais les surplomber. Je les honore par mon silence recueilli, mon émerveillement, et par quelques clichés.

paso del mus entre Forni di Sopra et le refuge Pordenone
Le Passo del Mus, passe-muraille

Et si je me fatiguais encore un peu plus ?

C’est dimanche. Les sentiers désertés sont de l’histoire ancienne. J’avais avalé facilement sur une après midi les 1200m en positif et en négatif qui séparaient Forni de mon point de bivouac. Je proposais à mes jambes de faire deux fois cela aujourd’hui. La moitié le matin, l’autre l’après midi. Projet farfelu et ambitieux, compte tenu de ma fatigue ces derniers jours et du fait que je n’avais jamais fait autant de ma vie. Leur réponse fut tout en sagesse: « on verra ».

campanile de val montanaia via alpina étape B17
Campanile de Val Montanaia

La première forcella ne fait pas de fioriture. Droit dans la pente. Il faut dire qu’il n’y a pas d’autre chemin possible. Le vallon est tellement encaissé qu’on pourrait croire qu’il va nous engloutir. Puis il s’élargit, aux pieds d’une tour de calcaire appelée campanile de Val Montanaia. Un clocher dans une cathédrale minérale. L’immense verticalité des murs, la beauté de l’alliance terre/roche/ciel et la petitesse de ma personne au milieu de tout ça éveillent chez moi un sens du sacré que j’ai déjà pu ressentir dans certaines cathédrales bâties par l’humain. Respect et reconnexion à plus grand que soi.

Miracle ?

descente de la forcella de val montanaia étape B17 via alpina
La première descente de la journée, il faut avoir les cuisses solides !

La descente de la forcella Montanaia sera encore plus verticale. C’était le dernier passage où le piolet pouvait être utile. Mais les 40 jours de beau temps du printemps ont liquidé la neige qui n’avait pas été si abondante. Je dévale un champ de cailloux, luttant contre la gravité, généreusement aidée par le poids de mon sac, pour ne pas finir aspiré dans la pente.

via alpina Dolomites étape B18 rifugio galassi
Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Vers 19h, j’arrive au refuge Galassi, après une journée finalement pas si difficile. Je suis frais, étonné de ne pas ressentir de fatigue avec plus de 2500 m de dénivelé. Quelque chose se passe. Le plus urgent n’est pas l’élucidation de ce mystère mais bien de payer la rançon exigée par mes jambes en l’échange de cette belle journée: bière et délicieuses spécialités du refuge Galassi, connu pour la qualité de son accueil. Je ferai cadeau de mon piolet devenu inutile.

Antelao depuis le refuge Galassi alta via 3 alta via 4 via alpina
Lumières de fin de journée sur le massif de l’Antelao

Quand le corps entre dans le rythme

bivouac au refuge Galassi sur la via alpina de la Slovénie aux Dolomites
Bivouac près du refuge Galassi

Ce n’est que le lendemain matin que je me rends compte qu’il y a un problème. Je ne ressens aucune fatigue, mon corps voudrait refaire la même journée que la veille. Ce n’est pas normal, je devrais ressentir des courbatures, ou au moins l’acide lactique fêter dignement sa présence dans mes cuisses. Que m’arrive-t-il?

A la forcella Piccola, le Pelmo en vue
A la forcella Piccola, le Pelmo en vue

Je me sens grisé, tout mon être pousse à marcher, marcher, marcher. Je suis aligné, mon corps a finalement choisi d’être là. Hormones de plaisir sécrétées par l’effort, forme retrouvée, enchantement des Dolomites: autant d’explications. J’ai dit adieu à la fatigue. C’est un passage clé dans l’ensemble de mon voyage: je m’ouvre à des possibilités physiques inconnues mais aussi à une joie très profonde et très simple. Je suis là.

randonnée passo Falzarego
Du côté du Passo Falzarego

Faire un choix

Pourtant, il me reste encore un îlot d’irréductibles récalcitrants à conquérir avant de pouvoir pleinement savourer mon chemin. Car mon mental n’a pas encore choisi d’être là. Il m’incite à partir, à grand renfort d’arguments météo. Et la météo, c’est la faiblesse dans la ligne de défense établie par ma motivation. Alors j’hésite, je tourne en boucle la même situation. Je me donne du temps, quelques heures. Arrivé à Cortina d’Ampezzo, je suis ébahi par l’incroyable beauté de la nature. Les murailles ont cédé la place à des donjons. Les montagnes forment des groupes très concentrés, séparés entre eux par des vallées et bien souvent des routes jalonnées de stations de ski. Je vais donc poursuivre ma marche pour voir cela et décider de ce que je vais faire du reste de ma vie.

val travenanzes alta via 1 grande traversée de l'arc alpin
Les merveilles des Dolomites pendant que je réfléchis face à mon dilemme : le val Travenanzes

Alors que je vois des montagnes qui sont parmi les plus belles que j’ai pu contempler, mon mental emporte la décision. J’avais peur d’être déçu en restant ici. Pourtant je suis heureux comme jamais sur un chemin de randonnée.  Je choisis de quitter les Dolomites et rentrer en France. Ne me demandez pas pourquoi je suis rentré en France. Plusieurs mois après, je ne m’explique toujours pas cette décision extravagante. Mais elle allait avoir un retentissement majeur sur le reste de mon voyage.

Tofani di Rozes via alpina jaune
Tofane di Rozes

Conclusion de cette première partie de la Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites

Je rentre en France. J’ai aimé traverser les coins reculés d’Italie et voir les merveilles créées par le calcaire. J’ai découvert des ressources insoupçonnées en moi également. Mais je suis (trop?) sensible à la météo. Mon voyage n’est pas terminé, il prend une tournure inattendue et tout devient possible. Où vais je continuer ? Suisse ? France ? Ailleurs ?

Vous en serez plus en lisant l’Opus 2 : Via Alpina des Dolomites à la Suisse

Matériel utilisé sur l’opus 1 de la Via Alpina

Voici dans cet article l’équipement et matériel utilisé pour réaliser cette Via Alpina de la Slovénie aux Dolomites :

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1 commentaire

Baudoin bruno 10 juin 2021 - 6 h 49 min

Merci pour ce partage, l ecriture et les photos, je mets cette trace dans les To Do !! Jai fait le tracé suisse l année dernière et les dolomites trois années de suite, 3 x3 semaines axé via ferrata itinerante, cest magnifique ! Sportivement

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