Thierry CALLEWAERT nous partage son expérience de son trek en Inde du Nord
Informations pour prépare un trek en Inde du Nord
Date du séjour trek
11 jours entre juillet et août 2006
Lieu du séjour trek en Inde du Nord
Le Ladakh, paradis des trekkeurs dit-on, se devait d’être vu par les sentiers les moins arpentés. C’est pourquoi, après de longues recherches et des prises de contacts locales, nous avons décidé un itinéraire sauvage où l’autonomie sera indispensable : La traversée du Rupshu-Spiti, une ancienne route commerciale entre le Tibet et le Spiti au départ du lac d’altitude Tso Kar jusqu’au village de Kiber.
Pour bien organiser votre séjour voici un guide complet pour préparer votre voyage en Inde :
Participants à ce trek en Inde du Nord
Stéphane est enseignant en éducation physique et sportive. Il aime le défi et les grands espaces.
Vincent est enseignant en sciences physiques, globe-trotter et un horloger suisse de la logistique. C’est à lui que revient le tracé de l’itinéraire hors des terrains balisés.
Thierry (moi-même !!) est enseignant en sciences physiques et profite de son temps libre pour voyager. Passionné par les rencontres et par la nature, il alterne ses départs pour des destinations qui le conduisent plus volontiers vers les autres ou au contraire dans des lieux isolés.
Où dormir au Ladakh
A Leh (où il faudra atterrir et commencer une acclimatation avant d’entreprendre l’itinéraire) : vous trouverez de nombreux hôtels en ville ainsi que des auberges pour un tarif moins élevé qu’en France.
Pendant la randonnée : En bivouac bien sur, avec la contrainte d’avoir de l’herbe pour les chevaux !
Où se restaurer/où se réapprovisionner
Toute la nourriture avait été achetée avant le départ. Aucune possibilité de ravitaillement, excepté au village de Korzog après 3 jours de marche.
Caractéristiques de l’itinéraire de notre trek en Inde du Nord
11 jours de randonnée sur l’itinéraire « traversée du Rupshu-Spiti »
Lieu de départ : Lac Tso Kar, rejoint en 5 heures de voiture depuis Leh
Village d’arrivée : Kiber.
- Budget En plus du billet d’avion il faudra compter le tarif de l’agence pour la caravane (guides + chevaux). Nous avions tout de même 1 guide, 2 cuisiniers, 2 horsemen ainsi que 6 chevaux pour nous accompagner.
Il faudra envisager un budget de base de 2000 euros, auquel s’ajoutera les hébergements, repas et autres visites pendant la période d’acclimatation. - Relief : Le point culminant est le col de Parang La vers 5600m. L’ambiance de ce trek est désertique avec un seul village à traverser et quelques nomades Changpa à croiser. Des paysages aux échelles grandioses le long de vallées glaciaires, de pics tibétains arrondis ainsi que de gorge étriquée.
- Climat : ll faut jouer avec la mousson qui normalement n’atteint pas le Ladakh l’été mais il semblerait que le climat change un peu ces dernières années, pour le choix du circuit. Les problèmes peuvent venir des gués liés à la fonte des neiges, ou aux cols élevés parfois obstrués par la neige.
- Période conseillée : Pour les raisons climatiques ci-dessus, on peut en gros conseiller de début juin jusqu’à fin octobre.
- Difficulté : Acclimatation, endurance et moral indispensables. Inutile de préciser que la solitude et l’altitude peuvent être dures à subir sur une dizaine de jours. Il n’y a aucune difficultés technique hormis les gués (et encore) et un petit pas de 2 au dessus des gorges vers la fin. En revanche les conditions d’altitude évoquées peuvent avoir des conséquences sur l’organisme. Se préparer à subir quelques maux de tête et une fatigue prononcée!!
- Fréquentation : peu fréquenté car assez éloigné des sentiers battus.
Centres d’intérêt au Ladakh
Leh est la capitale du Ladakh. Depuis là de nombreux monastères peuvent être visités, comme celui de Thiksey, Hemis, Chemley ou d’autres encore.
Liens Internet
Bibliographie
- Trekking in Ladakh, de Charlie Loram: Très bon pour les renseignements pratiques mais peu utiles pour la partie sud du Ladakh.
- Ladakh-Zanskar de Philippe Chabloz, Charles Genoud.
- Le Ladakh et l’Himalaya de l’Ouest par Patrick Kaplanian.
- Trekking au Ladakh Traversée Rupshu – Spiti
Trek en Inde du Nord: La traversée du Spiti
Introduction au séjour
L’Inde n’est pas le pays d’un voyage, mais peut être celui d’une vie. Il y a des années qu’une région himalayenne figure dans nos esprits comme le graal du trek : le Ladakh. Partie indienne de la vaste chaîne de montagnes où culminent les quatorze huit milles de la planète. Ici comme ailleurs, le tourisme est en train de prendre du terrain, de s’intensifier. Là où il y a quelques années, on ne dénombrait que quelques hôtels et agences de voyages, les sites se trouvent aujourd’hui en profusion.
Profitant notamment des difficultés qui règnent au Népal, la région voit arriver les trekkeurs un peu plus nombreux chaque année. Avant que le Ladakh ne devienne aussi victime de la route «coca cola», forte symbolique de l’omniprésence de l’étranger sur un terrain conquis, ce petit espace de liberté voit la raison de s’y rendre immanquablement grandir.
Après un laps de temps d’imprégnation à la culture hindouiste, et la découverte de citées impériales, nous reprendrons l’avion pour nous élever jusqu’à Leh. Capitale du Ladakh, cette petite ville aux dimensions touristiques, sera notre point central pour rayonner dans un vaste périmètre, où nous partirons à la découverte des monastères de la région en guise d’acclimatation. Nous rejoindrons alors le lac Tso Kar.
Ce sera le point de départ d’une traversée à pied de dix jours, en haute altitude, à travers la région du Spiti, où vivent de nombreuses familles de nomades. Paysage sauvage, esseulé, ce trek sera l’occasion de se confronter à des questionnements personnels. Quelle sera notre réaction face à l’isolement prolongé ? Comment notre organisme se comportera-t-il dans de telles conditions d’altitudes? Au-delà des interrogations intérieures, quel spectacle naturel sera notre quotidien ? Ne perdons plus de temps, et immergeons nous dès à présent dans un univers de sensationnel….
Jour 1–Lac Tso Kar
Après avoir franchi le col du Taglangla, deuxième col praticable en voiture du monde, à l’altitude de 5260 mètres, nous rejoignons, entassé dans une jeep, avec notre équipe, les berges du lac Tso Kar, point de départ de la traversée. Les affaires étant déchargées, le taxi repart aussitôt pour Leh, environ cinq heures derrière nous. Les chevaux et les deux horsemen sont déjà sur les lieux : ils ont mis près d’une semaine pour parvenir ici à pied depuis Manali. Le bivouac est installé face au lac turquoise. La terre brune aux reflets rougeâtre est gardien des rives opposées. Un grand espace de pâture est notre terrain de liberté, dans lequel les bêtes font un véritable festin. Nous sommes bien seuls, entourés de notre équipe, dans cette immense plaine d’altitude, à 4500 mètres. Le décor est somptueux. Nous avons l’après-midi pour profiter de cet environnement, et l’appréhender.
Le soleil chauffe fort lorsque le vent faiblit. Aucun symptôme du mal des montagnes ne vient pour le moment perturber notre contemplation. A quelques pas de nous, des marmottes s’amusent. Elles se laissent approcher à une distance raisonnable de quelques mètres, puis disparaissent au fond du trou, avant de pointer à nouveau leur tête. Pendant de longs instants, je joue à surprendre leur tranquillité, prenant soin de ne pas trop les déranger. Sous la tente cuisine, nous discutons avec notre guide, assis sur des tapis, tandis que la viande mijote dans les gamelles. Il fait bon, réchauffés par la flamme du réchaud à essence. Nous mangeons autour de la table éclairée par deux bougies. La pâte fraîchement préparée pour confectionner les chappattis que nous mangeons avec délice, crépitent dans la poêle. Ainsi s’installe l’atmosphère de notre itinérance.
Jour 2–Démarrage difficile !
Nuit de sommeil agité
Aucun mal de tête, ni essoufflement anormal ne sont à observer durant la nuit. Pour autant nous dormons mal, attribuant le sommeil tourmenté à la chaleur ainsi qu’à l’altitude. Serrés l’un contre l’autre, à trois dans la tente igloo, il se dégage une chaleur que la compression et le manque d’air rendent suffocante. A six heures trente, on nous réveille aux effluves de thé déposé devant l’entrée de la tente. Un long moment plus tard, un petit déjeuner royal nous est servi. Dès que nous quittons le bivouac, impatients de commencer à marcher, Parkash impose un rythme plus proche de celui d’un coureur de marche rapide que d’un randonneur.
Nous suivons la cadence, laissant loin derrière la caravane qui avance au pas des chevaux. Nous soupçonnons notre guide de nous tester pour cette première journée. La cadence ralentit un peu sous la demande de Stef, et les râles répétés de Vincent. Dos au Tso Kar qui disparaît bientôt dans l’horizon, nous faisons une halte face aux crêtes arrondies et aux sommets enneigés de l’espace grandiose et magnifique qui nous entoure. Parkash choisit ce moment pour nous compter ses mésaventures lors de treks passés. Il y a deux ans, inconscient ou insouciant, un couple l’a suivi dans la vallée du Pin, au mois d’octobre.
Le temps est devenu menaçant et à leur réveil le lendemain à l’aube, la neige avait recouvert le sol d’une épaisse couche infranchissable. Impossible pour eux de faire demi tour, tout autant que d’avancer. Les deux randonneurs ont laissé sur place tout le matériel, et Parkash les a guidés à travers la montagne, descendant tout un versant jusqu’à rejoindre la rivière qu’ils suivirent trois jours durant, blottis en position de survie contre les arbres, lorsque la nuit les rattrapait.
L’histoire de Parkash
Il nous raconte la mort d’un sherpa, victime du mal des montagnes, celle à laquelle sont aussi exposés les animaux. Certainement que ces histoires, loin d’être rassurantes veulent nous faire prendre conscience de la réalité à laquelle nous sommes exposés.
En altitude, chaque mal peut être un signal d’alarme qu’il faut absolument rapporter, de façon à prendre les mesures de sécurité qui s’imposent. Ces mêmes histoires nous montrent également que Parkash est notre guide, et que nous devons lui faire confiance. L’avenir nous montrera que peut-être son récit fut mêlé de fabulation. Peu importe, l’effet escompté s’est produit, et nous nous sentons pleinement concernés par les recommandations que ces aventures nous inspirent.
Le soleil chauffe avec une intensité étonnante et inhabituelle. A cette altitude le rayonnement est très important, et nous protégeons chaque parcelle de notre corps. Nous venons de marcher seulement quatre heures, mais la fatigue ressentie est terrible. En montant la tente, chaque flexion appliquée s’accompagne de vertige lorsque je me redresse. Pendant une demi-heure nous nous allongeons afin de reprendre nos esprits, dans le silence le plus total.
Immobiles et immobilisés, nous gardons notre position horizontale, figée, et ce malgré la chaleur sous la tente, qui en d’autres circonstances aurait été étouffante. La tête martèle une musique métronomique. Le thé aux épices que l’on nous sert, supposé bon contre les maux de tête, et bon pour l’hydratation ainsi que la récupération, nous fait du bien. Nous retrouvons tranquillement toute la lucidité.
Première étape difficile
Des dzos, mélange de vache et de yack, approchent le camp. Deux changpas nomades arrivent au galop jusqu’aux tentes. Ils s’arrêtent un moment discuter avec nos guides puis repartent conduire leurs bêtes vers leur campement où l’herbe abonde. Cette première étape, courte en heures effectives de marche, a demandé de gros efforts auxquels nos organismes ne sont pas encore habitués. Nous constatons l’exigence que demandent de telles conditions.
L’engagement que cela requiert, dans l’isolement recherché, est une vraie donnée de la traversée qu’il va falloir gérer. Des interrogations surgissent, et nous discutons longuement sur la finalité du voyage. La réflexion qu’implique cette première journée laisse présager que les quinze jours à venir ne laisseront pas indifférent chacun d’entre nous.
Jour 3–Des échelles grandioses !
Départ pour de nombreux kilomètres
Ce matin, les têtes tambourinent plus fort. A 9 heures, nous partons, avant que les chevaux ne soient même bâtés. Une mère avec sa fille, debout au milieu d’un désert de cailloux, nous regardent passer. L’enfant est apeuré lorsque Parkash lui présente un bonbon. C’est le moment que choisit leur chien pour nous bondir dessus. La frayeur, brutale, est rapidement dissipée lorsque la corde à laquelle le molosse est attaché se tend. Quelques chevaux sauvages attirent notre attention. Nous observons leur allure élancée, dans ce milieu adapté à leur errance.
Nous sommes sous l’emprise d’une étendue que nous n’arrivons pas à estimer; un kilomètre de large, peut être deux, peut être même davantage. Aucun point de repère ne permet d’évaluer la distance qui nous sépare du côté opposé. C’est incroyable ! Parkash cherche une solution pour tenter l’ascension d’un 6000 mètres, initialement prévu. La logistique est lourde dans les conditions où nous sommes, et la réalisation, délicate et rude, semble relever de l’infaisable, malgré l’assurance préalable donnée par l’organisation. Après discussion, je donne l’abandon comme issue à ce projet. Je fais part à mes compagnons de voyage des difficultés relatées, ce qui donne à Vincent un grand sentiment de frustration.
La caravane nous rejoint. Parkash prend alors, avec l’équipe, la décision de pousser plus loin. Il nous faut pour cela franchir un nouveau col à 5200 mètres. Cette fois, nos têtes semblent prises entre deux étaux. Il faut en faire abstraction pour avancer, et éviter les mouvements brusques. Nous n’avons pas de symptôme plus inquiétant.
La montée en altitude
Nous attaquons donc la montée, malgré les douleurs stridentes. Il faut encore redescendre dans un versant de terre et de pierre, basculant sur une nouvelle vallée le long de laquelle nous longeons une rivière. Nous passons plusieurs guets, chaussures autour du cou. Enfin, nous établissons notre campement, face à un sommet pyramidal enneigé.
Le décor est à une échelle toujours aussi surprenante. Pour la première fois, nous décidons de monter, péniblement, deux tentes. Exténués par la longue journée de marche et par l’altitude, nous optons pour un meilleur confort en élargissant notre espace d’intimité. Nous passerons ainsi la nuit à 5050 mètres. Comme la veille, trente minutes sont nécessaires pour reprendre nos esprits pleinement. Le thé est toujours d’un grand réconfort. Des nomades passent avec quelques chevaux. Malgré les maux de tête et mon abdication face à ma résolution de ne pas croquer ma première aspirine, le moral est très bon. Le physique ne peut alors que suivre, même dans la difficulté.
Certains moments sereins de la journée m’ont apporté des instants de naïveté infantile, admiratif devant la beauté sauvage à portée de ma vue. Tandis que la nuit s’empare du camp, qu’aux chauds rayons de soleil se substitue la fraîcheur nocturne, nous échangeons de longs moments de discussion, à la tiédeur du réchaud, et la lueur des bougies. Bien à l’abri de toute source de pollution lumineuse, le ciel scintille de milliards d’étoiles, dévoilant des contrées infinies. Dans cette source intarissable d’inspiration, je me sens en accord, en harmonie avec les éléments qui m’entourent ; heureux d’être en ces lieux, malgré les questionnements des heures précédentes, que la fatigue contribue à accentuer.
Jour 4-Au bord de l’inondation
Une nuit difficile
La nuit a été très mauvaise. Je suis bien dans mon sac de couchage, mais l’air qui s’infiltre par la porte de la tente laissée ouverte me refroidit. L’intérieur de notre maison de toile est humide. A 6h30, lorsqu’on nous sert le thé quotidien, je suis donc réveillé depuis longtemps. Le soleil ne tarde pas à enjamber le barrage que constituent les montagnes exposées à l’est. A 9h15 nous amorçons la longue remontée progressive de la vallée, et de la rivière que nous longeons à contre courant. Tout d’abord verte et rayonnante, la seconde partie de vallée devient plus caillouteuse. Un pierrier nous permet finalement de déboucher sur un col.
Vers le sud on peut apercevoir le lac Tsomoriri, vers lequel nous nous dirigerons. Sur l’ouest, de magnifiques sommets arrondis, coiffés d’un chapeau de neige, se succèdent comme les dunes d’un désert. Le panorama est surprenant, des photos clichées de la région, aux connotations des vastes espaces tibétains, me viennent à l’esprit. Le paysage est doux dans ses formes, vaste. Nous sommes à 5250 mètres environ. Il faut dire qu’il existe peu de cartes précises de la région, chaque source d’information référencie une altitude légèrement différente. Nous recoupons ces données à celle que nous fournit l’altimètre. Il faut régulièrement étalonner ce dernier, ce qui là encore rend les mesures approximatives.
Comme souvent au passage d’un col, des drapeaux à prières marquent le lieu. C’est un endroit qui présente la particularité d’être exposé aux vents, emportant au loin les prières. Nous poursuivons notre marche qui doit nous emmener 800 à 1000 mètres plus bas. La longue descente s’amorce, plus raide que sur le versant duquel nous venons. C’est durant le parcours de ce dénivelé négatif que nous croisons la première caravane depuis le départ. Il s’agit d’une équipe Népalaise.
Le désert de pierres
C’est un grand désert de pierres que nous atteignons, dont la traversée parait ne jamais finir. Les abords sont rayonnants, mais le plateau d’altitude est infini à l’échelle de nos pas minuscules. Tout au fond, nous apercevons des points figés sur une peinture teintée de vert. Lentement les points grossissent et prennent des formes vivantes, jusqu’à prendre l’apparence de dzos et de chevaux qui paissent dans une verte prairie. La dernière partie du tracé nous fait longer une étroite et verte vallée au cœur de laquelle serpente une magnifique rivière.
Le paysage semble sorti de nos albums photos des Pyrénées. Enfin nous apercevons un immense drapeau à prières qui surplombe la vallée à plusieurs dizaines de mètres de haut. Il annonce le village de Korzog, premier et dernier village que nous rencontrerons au cours de la traversée. Korzog, situé sur les berges du Tsomoriri, est le point de départ de nombreuses promenades autour du lac. Un seul bus par semaine fait la liaison entre ce petit village isolé, et Leh.
En cas de problème lié à l’altitude, il eut été possible de renoncer à poursuivre, et d’attendre le prochain bus pour se faire rapatrier. Au-delà, il n’y aura plus possibilité de s’échapper. Nos organismes se sont bien comportés jusqu’ici, ce qui traduit une bonne acclimatation. Il n’y a à priori aucune raison pour que de sérieux problèmes apparaissent dans le futur.
Ce soir la solitude est rompue. L’emplacement sur lequel nous nous installons est cerné par le torrent et des dérives qui font de notre campement un petit îlot. Subitement, le niveau de l’eau monte d’une cinquantaine de centimètres, à priori à cause de la fonte des glaciers.
La fonte des glaces
Nous sommes en milieu d’après-midi, mais le réchauffement de la glace, sa fonte et les conséquences en terme d’élévation du débit des lits ne sont pas synchrones. Les minutes s’écoulent, et l’eau commence à s’infiltrer. Il faut démonter une des deux tentes dont le fond commence à baigner dans l’herbe détrempée. L’eau nous cerne de toute part.
Le niveau arrive à la limite du muret de pierres de protection avec une grande violence. Que devons nous faire ? Nous patientons encore, attendant le niveau maximal que la rivière ne franchira pas. L’eau lèche depuis un long moment le pourtour de la tente, mais ne passera pas cette limite. Vers 20 heures, tandis que la langue de glace a redurcit sur les sommets, le niveau de la rivière redescend et se stabilise, avec un débit qui redevient normal. Sur la route en terre qui longe le cours d’eau, des troupeaux de dzos descendent des pâtures où ils ont passés la journée, menés par leurs propriétaires. Ces animaux aux poils longs sont impressionnants, et évoquent un semblant de préhistoire.
Sous la tente cuisine, Parkash sort une bouteille de rhum kashmiri. Bientôt l’ambiance devient festive, et nous alternons chants indiens et français. Alors nous mangeons, puis leur laissons la place car l’heure avance, et nos guides ont toujours l’estomac vide, leur religion ne leur permettant pas de manger en présence d’étrangers. Nous sortons, à moitié ivres, chanter sous les étoiles quelques chants de nos racines françaises. Enfin, nous nous endormons, bercés par le clapotis de l’eau, serrés dans nos duvets.
Jour 5-Le Tsomoriri
Marche près du lac
C’est une longue marche monotone qui s’annonce le long du lac Tsomoriri. Nous suivons la berge, tantôt au pied de l’eau, tantôt en prenant de la hauteur. Au cours des deux premières heures, nous croisons de nombreuses caravanes de dos chargés. Des familles entières de nomades reviennent des pâturages. C’est la période chaude, où ces familles établissent leur camp de pâture en pâture, cherchant la nourriture abondante pour leurs troupeaux. Pendant la saison, ils utiliseront la laine des bêtes pour confectionner leurs tissages, et réaliseront l’ensemble de leur artisanat. Hommes et femmes sont revêtus des tenues traditionnelles.
En particulier, on peut observer les péraks, coiffure originale en forme de cobra qui tendent aujourd’hui à disparaître, et dont le nombre de rangées de turquoise permet d’apprécier la richesse d’une femme. Souvent les enfants sont portés à dos d’animaux. Des troupeaux de chèvres abondent également.
La lumière est faible et les montagnes peinent à se refléter dans les eaux légèrement ridées du lac. Le Tsomoriri révèle son bleu turquoise, et la limpidité de ses eaux, lorsque le soleil parvient à percer le plafond nuageux. La traversée est longue, et alterne entre sable et terre. Il faut cinq heures pour parvenir à l’autre bout du lac, et longer ainsi ses vingt ou vingt cinq kilomètres de berge. Quelques gouttes de pluie nous obligent par moment à nous couvrir.
C’est à quelques centaines de mètres du lac, dans une immense plaine, que nous établissons le campement du jour. Je ressens un sentiment mitigé dans l’horizon qui s’éloigne, au cœur de ces vastes étendues sauvages. Vers le sud pointent plusieurs arêtes acérés et enneigées qui laissent entrevoir les jours futurs.
Une journée ventée
Le chaos et l’austérité qu’ils représentent pour Vincent et Stéphane m’appellent bien davantage que la monotonie et la platitude de ces grands espaces. Après l’eau d’hier, c’est le vent qui se mêle à notre quotidien. La violence des rafales fait plier les arceaux de la tente d’une courbure inquiétante. Nos sacs serviront de renfort pour consolider notre abri de fortune.
Jour 6–Questionnements
Une histoire de castes
Depuis le début du trek, nous observons l’attitude étonnante d’un des deux gardiens de chevaux. Ce dernier se met toujours en retrait, ne parle pas ou peu, si bien que nous nous demandons s’il n’est pas muet. Lorsque pour une raison ou une autre, nous sortons plus tôt des tentes, lui est déjà dehors, seul à l’écart, souvent dans une position accroupie. Serait-il autiste ? La question nous vient naturellement. En réalité, nous apprenons son appartenance à la caste des intouchables, les parias. Son statut ne l’autorise pas à entrer dans la tente cuisine. Est-il autorisé à adresser la parole en premier ? Nous n’avons pas la réponse, mais cela apparaît envisageable.
Cette hiérarchie des castes, au-delà d’être surprenante, nous est étrange et mystérieuse dans son fonctionnement. Surprenante, car l’ombre d’un représentant d’une caste peux suffire à rendre impure la nourriture d’un individu d’une caste supérieure. Etrange car elle classe les hommes en différents groupes, et ceci dès leur naissance. Le nom permet de connaître immédiatement la caste d’appartenance. Etrange enfin, car l’appartenance à une basse caste peut être compatible avec un haut rang social, et inversement. Toujours est-il que cette séparation des hommes en catégories et la complexité des relations qui en découlent permettent d’expliquer et de comprendre des attitudes parfois surprenantes.
Depuis que nous sommes redescendus à l’altitude de 4200 mètres, Vincent et moi avons étrangement besoin de prendre de grandes inspirations pour chercher notre souffle. Pourtant nous ne ressentions pas ou moins cette nécessité à une altitude plus élevée.
Passage entre les montagnes brunes
C’est ainsi que nous quittons la vallée qui prolonge le lac Tsomoriri. Un désert de pierres et de sable entre des montagnes brunes s’annonce. Chaque pas semble identique au précédent, dans un relief qui n’évolue pas ou progresse peu. La marche est monotone. Nous n’en éprouvons aucun plaisir particulier. Mécaniquement, nous avançons, interrogeant la machine humaine sur l’intérêt de traverser une partie du globe pour se retrouver enfermés dans une situation telle.
Pourtant, nous sommes certains que tout cela prendra un sens réel. Ce sont des instants où le temps n’a pas de fuite. Le passé, le présent et le futur se confondent. La solution consiste à se déconnecter de la réalité, de laisser défiler les kilomètres avec abstraction sur ce qui nous entoure. La marche n’est pas trop longue, pourtant c’est avec satisfaction que nous atteignons le camp. La baisse relative de régime du moral entraîne une fatigue physique, accompagné d’un certain dérangement de l’estomac.
A moins que ce ne soit le contraire. Toujours est-il qu’étroitement liés, le physique et le moral se partagent la part belle, mais tout autant les instants plus délicats. Je sens peser depuis plusieurs jours la répétition du quotidien, la lassitude du décor et de la nourriture. Je ressens quelque peu la sensation d’isolement dans cette nature aux dimensions disproportionnées, dans laquelle je ne me sens pas totalement à ma place. J’envie les dentelures de pics et de crêtes à l’aspect rugueux. Ici, dans les plateaux infinis, je ne perçois pas l’horizon d’un objectif.
Une longue partie de carte nous redonne le goût de la futilité. J’ai confiance, au moment d’écrire ces notes, le moral se regonfle. De grands moments sont encore à écrire. Le premier vient avec le coucher de soleil superbe, aux reflets orangés, inquiétants, sur les montagnes de demain.
Jour 7–Passage de guets
Respirer en altitude
Cette nuit fût difficile. J’ai mal dormi et même en position horizontale, au repos, j’ai parfois du mal à respirer correctement. Je puise dans les inspirations profondes, à la recherche d’oxygène. Je ressens un gène respiratoire, bien que nous soyons maintenant en altitude depuis plusieurs jours. L’acclimatation est en cours, et un problème particulier aurait déjà dû se manifester.
Pourtant, tandis que je m’isole du campement, j’observe quelques traces de sang dans une glaire. Cela ne va pas pour me rassurer et une légère inquiétude m’envahit. Redescendre est le seul moyen de parer à des symptômes du mal aigu des montagnes, et quitter la position où nous sommes nécessiterait de repartir au galop vers Korzog. Je fais pars à Parkash de mon état, du moins de mes observations. Il ne parait pas plus inquiet que cela, et me dit que nous ferons le point le soir même.
Nous arrivons sur les rives d’une rivière qu’il est impératif de traverser. De nombreux bras serpentent entre les cailloux de la vallée. Tenter de traverser l’obstacle l’après-midi serait impossible, à cause du niveau montant des eaux au cours de la journée.
La traversée
Chaussures autour du cou, pantalons retroussés, nous franchissons les guets pendant plus de trente minutes. La sensation des cailloux sur la plante des pieds est plus douloureuse encore que le froid de l’eau qui transit. Il faut alors suivre la rivière en amont, vers la source et les montagnes qui s’élèvent toujours plus vers le sud. La marche est devenue très plaisante. Bien que le paysage soit toujours aussi vaste, l’ensemble se fait moins lisse, plus acéré, rendant la traversée fort paisible. Cela implique un moral revenu au plus haut. Le physique répond en conséquence. Mes inquiétudes du matin se dissipent.
Comme depuis deux jours, le temps menace en début d’après-midi. La mousson est en marche vers le nord du pays, protégé par la barrière himalayenne. A cet instant, nous avons quitté le Jammu et Cachemire, pour pénétrer dans l’Himachal Pradesh, région de Parkash.
Jour 8-L’orage
Départ nuageux
Nous nous réveillons avec les premières goûtes de pluie de la journée, à 4800 mètres d’altitude. Le ciel est couvert, les nuages envahissent les sommets. Nous patientons un long moment avec de quitter le camp. Ce matin, nous continuons à remonter la vallée de la veille, avançant toujours plus vers la source de la rivière dont le débit fluctue en fonction de l’heure. Nous laissons le sentier qui s’élève sur un sol de terre et d’éboulis, pour longer le flanc de la paroi qui flirte avec l’eau. Pendant quelques dizaines de mètres, la berge s’effrite sous nos pas, obligeant une allure continue afin de ne pas chuter ou glisser.
Il faut enjamber un petit bras de rivière, puis continuer à progresser sur un chemin qui nous approche à chaque pas des glaciers, berceau du fil conducteur que constitue la rivière. De larges vallées et de profonds canyons étroits constituent le paysage changeant. D’énormes rochers brisent la monotonie de la marche qui sans cela, aussi majestueux que soit notre environnement, prendrait un aspect neutre dans la longueur.
L’orage guète et le tonnerre commence à gronder. A l’arrivée au camp, nous sommes mouillés, bien que protégés sous nos équipements de pluie. De gros nuages noirs, inquiétants, voilent le ciel. L’équipe monte la tente cuisine, sous laquelle nous nous réfugions, attendant que la pluie se calme pour monter les nôtres. En réalité, les armatures qui maintiennent la grande tente, ainsi que tous les ustensiles de cuisine, intégralement constitués de métal, nous inquiètent plutôt qu’autre chose.
Les pointes d’acier qui fixent la toile dépassent comme deux minis paratonnerres. Si la foudre décidait de s’abattre dans les parages, voilà bien tous les paramètres réunis pour qu’elle le fasse ici. Vincent et moi préférons l’humidité extérieure, que l’abri exposé au danger.
Accident et moment détente
Pour ajouter davantage de saveur à la situation, les guides faillirent mettre le feu avec l’essence, en allumant le réchaud. De grosses flammes jaillissent par les aérations latérales de la tente. Cela a le mérite de faire rire toute l’équipe.
L’orage s’éloigne un peu. Nous nous séchons et nous réchauffons devant les réchauds, buvant un café brûlant. Le gardien de chevaux, habituellement en retrait, est autorisé, compte tenu de la météo, à entrer sous la tente. Lui aussi a besoin de se réchauffer, et de faire sécher ses vêtements. Pour la première fois, je le vois sourire. L’ambiance est chaleureuse. Nous sommes tous les huit réunis, confinés dans cet espace réduit, autour d’une flamme salvatrice. Nous chantons, couvrant le bruit du tonnerre qui s’éloigne en grondant son mécontentement.
Ce sont des instants qui apportent des réponses, lorsque parfois l’on s’interroge sur les raisons d’être là. Lorsque la pluie cesse enfin, nous montons les tentes, avant de retourner sous la grande toile pour le dîner, ou Vishram nous a préparé un petit festin. Quelques flocons minuscules volètent. Ainsi la journée s’achève, donnant repos aux dernières heures dont le rythme s’est accéléré.
Jour 9–La tente prend l’eau
Quelques goûtes de pluie tapent sur la toile à mon réveil. Stéphane est levé depuis longtemps. La pluie tombée la veille a formé des filets d’eau grandissant. Sa tente est placée sur le trajet qu’emprunte un de ces filets, qui s’écoule et grandit. A six heures du matin, il a été réveillé par une sensation de froid. Son sac de couchage baigne dans l’eau. Le soleil finit par percer, et dissiper les nuages sombres.
Voilà ce qu’il nous fallait pour faire sécher nos vêtements trempés de la veille. Ce matin le petit déjeuner est plus frugal qu’à l’accoutumer. Céréales, œufs brouillés à l’ail et aux oignons, puis ragoût de pommes de terre emplissent avec délice nos estomacs, et nous apportent l’énergie nécessaire pour bien aborder la journée. Le tout est accompagné d’un pain rond que nous découvrons ainsi que de thé et café.
Ainsi nous levons le camp lorsque tout est rangé et que nous sommes prêts à entrer pleinement dans cette nouvelle journée. Nous longeons toujours la longue et immense vallée glaciaire, mais par un plateau égaillé de ronds d’herbes grasses comme autant de taches vertes sur un fond bruni par le minéral. Nous rejoignons la rivière, et il faut traverser quelques petits bras avant d’atteindre le lit. L’eau monte à mi-cuisses et le débit nous contraint de lutter fermement, debout sur nos jambes, prenant garde de ne pas perdre l’équilibre.
Vers le col du Parang
Sans ces efforts nous finirions emportés par les flots, incertains de s’extraire du courant avec une grande facilité. Les jambes meurtries par le froid, Stéphane sort du torrent bouillonnant en poussant un cri de rage. Désormais nous apercevons ce qui représente depuis quelques jours notre but. Le col du Parang La pointe depuis un petit moment, et dans son prolongement le glacier dont la langue semble si proche. Avec l’échelle du paysage, avoir un point de mire n’est pas synonyme d’aboutissement.
Nous nous élevons lentement au dessus de la rivière qui grossit au fur et à mesure de notre progression. Enfin nous atteignons le camp, qui pour la première fois depuis le début de la traversée ne présente pas le moindre carré d’herbe. C’est autant de nourriture en moins pour les animaux. A la même heure qu’hier, le ciel s’obscurcit et se couvre de nuages noirs.
L’orage rode dans les parages. Heureusement pour ce soir, nous sommes déjà sous les tentes lorsque la pluie commence à tomber. Avant d’être bloqués sous les toiles, Vincent et moi réalisons un petit film présentant une expérience pour nos élèves. La température d’ébullition de l’eau varie en fonction de l’altitude. Profitant de la préparation du thé, nous mettons en avant le phénomène en mesurant une température d’ébullition de seulement 83°C, pour une altitude de 5100 mètres environ. Cette preuve irréfutable servira de témoin pour nos prochains cours de lycée.
Jour 10–Le Parang La
A cinq heures du matin, on nous sort du sommeil. La neige a blanchi les sommets, et recouvert d’une fine épaisseur les toiles de tentes. La température est de l’ordre de 3°C ce qui représente certainement la plus basse depuis le début du voyage. Prêts et habillés en conséquence pour le froid, nous partons sur le sentier de pierres, grimpant à un rythme soutenu dans les pas des chevaux. Nos empreintes sont marquées dans le saupoudrage blanc de la nuit. Pour l’équipe, le col était affiché depuis le début comme l’objectif principal ; le sommet ultime avant de descendre vers Kibber. En ce début de matinée, l’humeur est joyeuse. Nous continuons à progresser sur le glacier du Parang La.
Nos pas s’enfoncent dans la neige tendre, dessinant des itinéraires multiples dans un décor vierge d’autres traces. Plus nous nous enfonçons, et plus nous forçons l’allure, comme pour ne pas être retenus prisonniers, attirés vers le point culminant du voyage. La caravane avance à notre rythme, et les chevaux ne semblent pas peiner plus que nous dans leur ascension. Quelques cours d’eau dévalent la pente, déchirant le glacier par d’authentiques courbes qui sillonnent l’étendue blanche.
Après trois heures d’ascension rapide, nous gagnons un couloir étroit qui nous permet d’atteindre le col et ses 5600 mètres d’altitude. Vincent Stéphane et moi franchissons la ligne d’arrivée ensemble. Il y a déjà des caravanes au sommet. Mais pour nous, ces instants sont aux congratulations. Parkash nous remet à chacun une écharpe de tissu provenant des drapeaux à prière, en signe de porte bonheur. Nous mesurons davantage la dimension humaine que celle des hautes montagnes.
Ambiance festive
Tout d’abord, il faut reprendre notre souffle un peu court. Rapidement, les poignées de mains fusent, les accolades se multiplient, les chants se lient aux drapeaux à prières dans une union fraternelle. Enfin, le moment est venu de redescendre sur l’autre vallée. Sur ce versant sud, il n’y a plus de neige.
L’atmosphère change radicalement, passant des hautes altitudes à l’impression d’être en moyenne montagne. La descente s’amorce dans une ambiance très festive. Nous chantons en cœur chants locaux et français, dansons parfois dangereusement sur les éboulis du sentier, le souffle court. Le pierrier nous mène jusqu’à un replat herbeux où les chevaux sont tout heureux de pouvoir paître un peu d’herbe tendre après une journée de diète. De là, nous dominons vertigineusement des gorges étroites que nous longerons bientôt. Le camp initialement prévu est dépassé, mais nous continuons vers un autre emplacement situé à deux heures de marche environ. A cet endroit nos animaux porteurs trouveront un bien meilleur garde-manger. A cet instant, probablement à cause de la verticalité du canyon, malgré que la neige ait disparue, je ressens la présence puissante de l’Himalaya.
Happés par le fond de la vallée, le grondement de la rivière croit tandis que nous approchons de son lit. Nous la suivons désormais, prisonniers des gorges superbes. Alors, nous devons bientôt changer de rive pour suivre le sentier. Nous empruntons une passerelle tandis que les chevaux, trop lourds et trop gros, doivent passer le guet. Il est déjà une heure avancée de la journée- aux alentours de 13h- et le débit est important. Il n’y a pourtant pas d’alternative, et les chevaux doivent traverser. Ils refusent dans un premier temps d’avancer, apeurés par l’obstacle.
Traversée risquée
Contraints et poussés par les guides, ils finissent malgré l’appréhension par s’élancer dans l’eau et franchir la dangereuse barrière. Mais l’un des chevaux, plus faible, peine à avancer.
Un des guides a grimpé sur son dos pour le faire avancer, lui donner des coups sur les flancs. Le cheval avance difficilement. Il est déporté par la force des eaux, et l’animal est à la limite d’être renversé et entraîné. Quelques mètres surélevés, nous observons la scène avec angoisse. Dans un dernier effort, il réussit à s’extraire du piège pour atteindre l’autre berge. De notre côté, nous devons franchir un pas d’escalade à flanc de falaise, où la chute est interdite. Vincent est un peu réticent, mais passe sans grosse peine.
Seulement un petit frisson pour se glisser le long de la paroi, et accéder au sentier ferme. Les gorges s’ouvrent sur la droite, et nous empruntons le passage qui s’élève et doit nous sortir de ce long couloir étroit pour retrouver la vue aérée des derniers jours. C’est une longue remontée qui s’annonce, abrupte et escarpée, qui doit nous élever de 450 mètres. La montée est terrible, après une journée déjà longue en difficultés. Le sentier serpente en lacets serrés. Les guides sont derrières et semblent peiner, avançant moins aisément qu’à l’accoutumer. Un cheval apparaît clairement plus fragile que les autres. Celui là qui faillit être entraîné par les eaux. Nous doutons sur sa capacité à arriver au sommet.
Grimper jusqu’au sommet
Il peine horriblement. Je l’entends souffler anormalement. Sa respiration est poussive. Je fais la montée à ses côtés, l’encourageant, lui donnant des tapes pour le forcer à avancer. Parfois je le pousse pour lui donner un peu d’élan ou d’entrain. S’il devait s’affaisser, je suis prêt à prendre une partie de son chargement sur le dos. Je me sens bien physiquement. Si Stéphane et Vincent semblent un peu moins à leur aise, je suis certain qu’ils feraient malgré tout de même.
Une petite descente annonce l’arrivée proche. Le cheval part en courant, trop faible pour retenir sa course, et freiner sa masse qu’il ne contrôle plus. Enfin le camp est là, et le repos attendu pour tout le monde. La journée a été longue, et magnifiquement variée. Peut être même qu’il s’est passé trop de choses pour les apprécier à leur juste valeur. Toujours est-il que le franchissement du col dans la neige, la communion au sommet avec l’équipe, la traversée des gorges et enfin la dernière remonté à pic resteront à coup sur comme une succession de paroxysmes de beauté et d’émerveillement. Dans la difficulté et l’effort, je retrouve une certaine exaltation qui m’apporte une récompense bien plus grande et intense.
Jour 11–Kibber
Matinée tranquille
Après la grosse journée d’hier, la matinée est très tranquille, et se déroule à un rythme lent. L’équipe n’est pas pressée de quitter l’emplacement. Tout le monde a besoin de récupérer des forces laissées dans les difficultés de la veille. Depuis longtemps pourtant, le meneur de chevaux a conduit les bêtes un peu plus loin pour trouver de la bonne herbe. C’est donc sans nous brusquer que nous prenons le petit déjeuner et rangeons pour la dernière fois nos affaires dans nos sacs puis plions les tentes. Il ne faut pas plus de vingt minutes pour atteindre le sommet des gorges. A partir de là, c’est la lente plongée vers Kibber qui s’amorce.
Le sentier de pierres descend en premier lieu jusqu’à apercevoir une vallée verdoyante et riante. Dans les champs, les femmes sont au travail, pour la récolte des cultures. Il s’agit du retour progressif à la civilisation. Nous visualisons la route pour Kazaa. Depuis la vallée, le village pointe en ligne de mire. Il faut encore descendre vers de nouvelles gorges. Nous pensions en avoir terminé avec les dénivelés. Il restera cette ultime étape pour parachever la traversée. La rivière est un endroit idéal pour se poser quelques instants et manger quelques bouchées. Nous avons devancé l’équipe de plusieurs minutes. C’est ensemble que nous abordons la remontée finale. Au sortir des gorges, le sentier rejoint une petite route, bordée de parapets parallélépipédiques que les habitants sont en train de coffrer.
Voilà un signe que dans cet endroit reculé, le touriste est en train également d’être de plus en plus présent. Force est de constater que où que nous allons, l’étranger trouvera toujours une raison honorable d’imposer sa présente.
L’importance du trek pour les locaux
Le trek est dans la région les causes du développement qui, s’il présente des risques pour les populations autochtones, apporte en contre partie les devises nécessaires à son évolution. Il est étonnant, pour nous, occidentaux, de voir uniquement des femmes au labeur. Il en est ainsi culturellement.
Certaines tâches comme le travail aux champs est réservé à la femme. Kiber est un petit village, planté sur un versant de colline. Nous y pénétrons dans une atmosphère de sérénité. Village paisible, où la vie s’écoule calmement, isolé du monde, Kiber représente pour nous la fin du trek convoité depuis maintenant dix jours. Parkash retrouve la tenancière de l’hôtel, une amie chère. Dès qu’ils ont rempli leurs estomacs, les deux meneurs de chevaux reprennent déjà la route en direction de Manali. Quant à nous, nous prenons possession d’une petite chambre sans confort.
Il n’y a pas de salle de bain, encore moins d’eau chaude. Juste une petite douche est installée dans les toilettes communes. Aujourd’hui encore nous resterons dans notre crasse, mais nous pouvons à présent nous reposer. En fin d’après-midi, Parkash nous rejoint dans la chambre, une bouteille de whisky à la main. Nous discutons longuement de choses et d’autres, nous esclaffons, trinquons abondamment dans la joie et la bonne humeur. La bouteille terminée, nous ajoutons la notre, comme pour mieux fêter l’aventure qui s’achève. Nous poursuivrons la soirée sur la terrasse.
Après 4 jours bloqués à Kibber, le véhicule qui doit nous rapatrier arrive enfin, bloqué par les pluies abondantes que ce sont abattus les derniers jours.
Conclusion du trek en Inde du Nord
Le Ladakh près de l’Himalaya
Partir dans cette région de l’Himalaya qu’est le Ladakh signifie sans aucun doute s’élever vers les cieux, rejoindre le grandissime à des altitudes moyennes remarquables. Les questions se bousculaient dans nos têtes, et nous avions envie d’y apporter des réponses. Nous recherchions l’isolement, un certain engagement pour mieux se retrouver, pour mieux ressentir notre environnement. Même si le Spiti ne voit pas aujourd’hui ses sentiers battus par un nombre incalculable de marcheurs invétérés, la région n’en devient pas moins de plus en plus fréquentée. Nous avons ressentis la force de la nature et le pouvoir des solitudes lorsque notre campement se distinguait dans les paysages minéraux.
La gratitude et la reconnaissance des montagnes nous a touchés lorsqu’en tournant le regard, nous ne distinguions que les toiles de nos tentes dans un environnement désert de vie humaine. A certains moments précis, la pesanteur des sommets a réussi à peser sur mon enthousiasme. Plus exactement, c’est une nature riante, verdoyante, irriguée, qui paradoxalement a conduit à une sensation d’abandon, de désolation, même si les termes sont un peu exagérés. La monotonie d’un fond de vallée, d’un bord de lac, a par moment soulevé les questionnements attendus.
Quels mécanismes profonds nous poussent à rechercher en permanence l’inconnu, à se confronter à notre méconnaissance de soi? En d’autres occasions, c’est lorsque le moral subit une baisse de régime pour des doutes liés à une situation bien précise, que le physique joue lui aussi des tours.
Corps et esprit
Preuve irréfutable que les deux éléments essentiels sont inséparables. Le dépassement de soi pour atteindre un but nouveau semble le seul argument valable pour justifier cela. D’une façon générale, nous ne nous sommes jamais sentis profondément isolés, perdus, cherchant désespérément à nous raccrocher à quelconque support. Certainement parce que nous n’étions pas totalement seuls, mais encadrés par notre petite équipe composée de huit hommes, et d’autant de chevaux.
Nous imaginions des dômes aux dimensions hors normes, des glaciers fantastiques, des crêtes acérées. Autour de nous, les sommets dépassaient souvent les 6000 mètres, mais notre altitude flirtait avec les 5000 mètres. De ce fait, nous n’avons pas vu émerger d’insubmersibles icebergs minéraux, aux allures titanesques. Nous n’avons pas été happés par des murailles infranchissables. Nous avons été impressionnés par les dimensions horizontales des vallées, leur largeur inestimable. La verticalité des lieux n’a pas été à la hauteur de notre imaginaire.
Nous avons partagé le quotidien de huit indiens, huit indous, d’appartenance à des castes différentes. Nous avons partagé des moments intenses de chaleurs, échangé des rituels propres à chacun de nos deux pays. Au-delà de l’Himalaya, je retiendrai ces moments forts de convivialité dans les instants du quotidien. Se retrouver dans ces moments de simplicité, réunis sous la toile de la tente cuisine, mélangeant nos chants et nos rires, dans la chaleur d’un plat de riz, dans les effluves d’un fond d’alcool.
Entre imagination et réalité
Peut être qu’à trop imaginer, la fiction dépasse la réalité, les décors mentaux dépassent les paysages de cartes postales. Mais les instants de communion qui jalonnent les voyages, apportent une vérité unique qu’aucune image virtuelle ne saurait remplacer. J’ai acquis la certitude que les rencontres humaines seront toujours bien plus riches que n’importe quelle nature, hymne de beauté.
Lorsque les kilomètres s’enchaînaient comme autant de maillons identiques, nous ne touchions plus les raisons légitimes d’avancer, sinon celles de rallier notre point de chute. Dans ces moments, nous pouvions jurer de ne plus arpenter les espaces vierges comme nous étions en train de le faire. Mais la passion est intacte. Mieux, elle grandit chaque pas davantage, et l’adversité ne rend qu’illusoire l’impression de pouvoir nous résigner. Alors où serons-nous lorsque seront digérées les pointes d’amertume, les bribes d’incertitude ? Les prochains carnets de voyages seuls pourront y répondre…
Matériel utilisé pour le trek en Inde du Nord
CATEGORIE | NOM DU MODELE | MARQUE | POURQUOI AVOIR FAIT LE CHOIX DE CE MODÈLE AU DÉPART ? | EST CE QUE CE CHOIX A RÉPONDU À CETTE EXPÉRIENCE RACONTÉ DANS CE ROADBOOK ? | SI C’ÉTAIT À REFAIRE ? |
SAC À DOS | Forclaz 70 litres | QUECHUA | Rapport qualité/prix et volume | OUI | |
PANTALON | Ld Trek Stretch Zip Off Pan | MILLET | Strech confortable et transformable en short | OUI | Très bien |
SUR-PANTALONNE SE FABRIQUE PLUS | QUECHUA | Couche imperméable | OUI | Un peu lourd, et n’a pas été utilisé | |
TEE SHIRT | Carline light | MILLET | Absorption de la transpiration/au sec | OUI | Impec! |
POLAIRE | Forclaz 50 | QUECHUA | Polaire légère | OUI | Suffisante en terme de chaleur |
POLAIRE | MILLET | Polaire zippée | OUI | Suffisante en terme de chaleur | |
GORE TEX | Gore tex performance (ancien modèle) | MILLET | Modèle en possession! | OUI | Très bon produit mais la membrane est usée et n’est plus imperméable ! |
CHAUSSURES | Renegade | LOWA | Confort | OUI | Super |
CHAUSSETTES | chaussettes bouclées | QUECHUA | Marche longue | OUI | Bonne protection sur terrain mouillé, mais peu respirantes |
TENTE | Vega2 | MC KINLEY | Qualité/poids | OUI | Parfait pour les conditions |
SAC DE COUCHAGE | Free time 1400 | FREETIME | Sac suffisamment chaud mais pas trop | OUI | Limite en terme de chaleur/pour frileux prévoir plus chaud |
MATELAS | Micro lite | ARTIACH | Confort/poids | OUI | Confort parfait-un peu volumineux |
FRONTALE | Tikka plus 2 | PETZL | Qualité/poids | OUI | Parfait |
APPAREIL PHOTOS+ 2 BATTERIES | Hybride EPL2 | OLYMPUS | Qualité de photos et encombrement réduit | OUI | Tres bien |
Voici un autre récit de voyage au Ladakh: